Les nombreux étudiants étrangers de la prestigieuse université privée de Harvard sont dans l’expectative vendredi, après l’annonce de l’interdiction de les accueillir la rentrée prochaine, nouvelle escalade dans l’offensive du gouvernement américain contre l’enseignement supérieur.
D’après son site internet, l’université du nord-est des Etats-Unis, classée parmi les meilleures au monde et qui a produit 162 prix Nobel, accueille cette année quelque 6.700 « étudiants internationaux », soit 27% du total.
« La certification du programme SEVIS (Student and Exchange Visitor) de l’université Harvard est révoquée avec effet immédiat », a écrit jeudi la ministre de la Sécurité intérieure Kristi Noem dans une lettre adressée à l’établissement.
Ce qui signifie, selon elle, qu’Harvard a l’interdiction de recevoir des étudiants titulaires de visas F ou J pour l’année scolaire 2025-2026, une perte potentielle immense pour le campus, à la fois sur le plan financier et du rayonnement international.
« Cette décision (…) est la dernière d’une série de mesures de représailles et d’autoritarisme flagrant à l’encontre de la plus ancienne institution d’enseignement supérieur des États-Unis », a dénoncé l’Association américaine des professeurs universitaires (AAUP) à Harvard. « L’administration Trump cherche illégalement à détruire l’enseignement supérieur aux États-Unis.
– « Panique » –
D’après Kristi Noem, les étudiants étrangers déjà inscrits doivent « se transférer » dans une autre université, sous peine de perdre leur visa.
Une initiative déjà prise par Karl Molden, étudiant autrichien de 21 ans en administration et lettres classiques, qui n’avait pas attendu que le couperet tombe et s’est inscrit à l’université d’Oxford, en Grande-Bretagne.
« J’aime Harvard et y entrer a été le plus grand privilège de ma vie », mais « les Etats-Unis sont de moins en moins attractifs pour l’enseignement supérieur », a-t-il souligné à l’AFP.
Une étudiante américaine du campus en quatrième année, Alice Goyer, a rapporté que la nouvelle avait commencé à circuler, mais que « personne ne sait » ce qu’elle signifie pour ses camarades étrangers déjà inscrits à Harvard.
« Tout le monde panique un peu », a-t-elle ajouté, espérant une « bataille judiciaire » contre cette interdiction.
La ministre a assorti sa décision choc d’un ultimatum: si Harvard veut retrouver son « privilège », elle doit fournir dans les 72 heures une série d’informations dont elle disposerait sur d’hypothétiques activités « illégales » de ses étudiants étrangers dans les cinq dernières années.
« Cette décision du gouvernement est illégale », a immédiatement répondu un porte-parole d’Harvard, contacté par l’AFP.
– « Indifférence délibérée »‘ –
L’université s’était distinguée il y a plusieurs semaines en attaquant en justice le gouvernement sur le dossier du retrait de ses aides fédérales.
L’administration Trump a lancé une vaste offensive contre l’enseignement supérieur aux Etats-Unis, accusant les universités privées les plus prestigieuses, notamment Harvard et Columbia, d’avoir laissé prospérer l’antisémitisme et de n’avoir pas protégé suffisamment les étudiants juifs pendant les manifestations contre la guerre d’Israël à Gaza, lancée après les attaques du mouvement islamiste palestinien Hamas le 7 octobre 2023.
Le ministère américain de la Santé a d’ailleurs affirmé jeudi, après une enquête « approfondie », que Columbia a « violé la loi fédérale sur les droits civiques » en faisant preuve « d’indifférence délibérée à l’égard de l’environnement hostile auquel sont confrontés les étudiants juifs ».
La dénonciation d’un climat antisémite sur les campus américains est antérieure à l’arrivée aux manettes de l’administration Trump.
Le mandat de Joe Biden avait été marqué par l’évacuation par la force du campus de Columbia, occupé par des militants pro-palestiniens, ou par le scandale des déclarations de l’ancienne présidente de Harvard, Claudine Gay. En décembre 2023, elle avait répondu à la question de savoir si « appeler au génocide des Juifs violait le règlement sur le harcèlement de Harvard », en disant: « Cela peut, en fonction du contexte ».
Le camp républicain reproche plus généralement aux grandes universités américaines de promouvoir les idées de gauche jugées trop progressistes.
Dans son courrier rendu public, la ministre reproche à Harvard son refus de transmettre les informations au gouvernement, « tout en perpétuant un environnement dangereux sur le campus, hostile aux étudiants juifs, encourageant les sympathies pro-Hamas et utilisant des politiques racistes de +diversité, d’équité et d’inclusion+ ».
Ces politiques de diversité sont justifiées par leurs défenseurs comme un moyen de corriger les inégalités historiques au sein de la société américaine.
Dans son bras de fer avec Harvard, le gouvernement américain avait déjà supprimé plus de deux milliards de dollars de subventions, mettant un coup d’arrêt à certains programmes de recherche. Harvard a contre-attaqué en justice pour défendre sa liberté d’enseignement.