Il convient de commencer par saluer l’initiative de Seydou Keïta, ancien international de football, qui a investi dans la création d’une usine visant à produire des denrées alimentaires 100% maliens. Cette démarche, portée par l’ambition de contribuer au développement économique du Mali, mérite d’être soulignée et applaudie. L’idée de fournir au pays et aux Maliens des produits fabriqués localement, par des Maliens, pour les Maliens, incarne une vision qui mérite soutien et reconnaissance.
Cependant, en écoutant Seydou Keïta s’exprimer sur les difficultés d’approvisionnement en matières premières nécessaires à la production de ses produits, un aspect plus préoccupant émerge.
– Premier constat : Il semble, en effet, que l’ancien footballeur, bien que visionnaire dans son projet, ne maîtrise pas entièrement la chaîne de fabrication alimentaire. Construire une usine est certes un projet ambitieux et louable, mais une gestion efficace de la production nécessite une compréhension approfondie de la chaîne d’approvisionnement et des interlocuteurs nécessaires pour se fournir en matières premières. Ce volet a manqué dans le montage du projet de Seydou Keïta . Seydou Keita aurait dû trouver des fournisseurs fiables tout en négociant les conditions meilleures possibles. Il aurait dû en outre tenir compte de la saisonnalité et des facteurs climatiques qui pourraient affecter la disponibilité et le prix des matières premières.
L’enjeu réside donc dans l’assemblage d’une équipe compétente et expérimentée dans les études de faisabilité, ce qui semble être une lacune dans le projet de Seydou Keïta.
Une vision quelque peu déconnectée de la réalité du terrain
– Deuxième constat : Plus inquiétant encore est le ton qu’il adopte dans ses propos : un mélange de certitudes et de mépris, qui traduit une vision quelque peu déconnectée de la réalité du terrain. Seydou Keïta, galvanisé par des interlocuteurs qui semblent eux-mêmes peu versés dans les rouages complexes de la production et de l’approvisionnement, semble confondre souhaits et réalités. Il est aisé de comprendre que son entourage, constitué en grande partie de personnes partageant des certitudes sans fondement, n’a pas su lui offrir la perspective nécessaire pour aborder ces problématiques de manière pragmatique.
Ce phénomène, malheureusement, est représentatif d’un mal plus profond qui touche une large partie de la société malienne et, de manière plus générale, de nombreux pays africains. Dans nos sociétés, une croyance forte existe selon laquelle la personnalité et la certitude personnelle remplacent souvent la compétence et l’humilité. Ce culte de la croyance est malheureusement souvent synonyme d’une posture qui enferme les individus dans une réalité qui leur est propre, tout en ignorant les défis réels du terrain.
Les critiques à l’égard de Seydou Keïta ne sont pas à prendre comme une attaque personnelle
Les critiques à l’égard de Seydou Keïta ne sont pas à prendre comme une attaque personnelle. Bien au contraire, je crois qu’il est victime d’une situation où son entourage, qui semble peu préparé à affronter les réalités économiques du secteur, l’a poussé à une position en sa défaveur. Mais cette situation ne doit pas occulter un aspect crucial du problème : il est fondamental de prendre en compte l’indépendance des producteurs locaux, agriculteurs et autres intermédiaires, qui, tout comme Seydou Keïta, sont des entreprises, des Maliens. Ils ont le droit de fixer le prix pour leurs matières premières sans aucune intervention, ni obligation des pouvoirs publics.
Il est légitime qu’une telle usine vise à générer des profits…
– Troisième constat : Il convient également de noter le propos maladroit de Seydou Keïta, qui a évoqué avoir eu la possibilité d’implanter son usine ailleurs. Si un tel regret existe, il serait intéressant de rappeler que son engagement envers le Mali semble aussi avoir une dimension économique, et non purement philanthropique. Il est légitime qu’une telle usine vise à générer des profits, et c’est tout à fait normal dans un environnement entrepreneurial. Mais il est essentiel d’éviter l’illusion d’une démarche totalement désintéressée, ce qui pourrait choquer les maliens.
En conclusion : Le projet de Seydou Keïta, bien qu’ambitieux, souffre donc de ce syndrome typiquement malien : celui de ne pas respecter les processus universels de montage de projet tout en pointant du doigt l’État en priorité et les autres comme responsables de ses difficultés. Pour que ce projet fonctionne, il est nécessaire d’abandonner toute posture de supériorité et de se montrer humble et modeste face à un secteur complexe. Ce que les autorités attendent aujourd’hui, c’est une stratégie gagnant-gagnant avec les producteurs locaux, les intermédiaires et les autres acteurs de la chaîne de valeur pour un développement économique du Mali .
Manda CISSE