Monsieur le Professeur,
Permettez-moi d’abord de rappeler une évidence trop souvent oubliée : l’Histoire n’enseigne rien et n’assigne rien. Elle ne dicte pas de choix ni de conduite ; elle contient tout et justifie tout, selon le prisme de celui qui la lit. L’histoire offre des exemples, des expériences, des contextes, mais elle ne construit pas automatiquement un être humain ni ne prépare à l’avenir. Se laisser séduire par l’Histoire comme guide moral ou politique est, dans le monde actuel, plus dangereux que jamais.
Votre protestation contre la suspension de l’enseignement de la Révolution française de 1789 repose sur l’idée que cette révolution serait un modèle universel et indispensable à la formation de nos enfants. Or, la temporalité et la pertinence de cette leçon dans le programme malien ne constituent en rien une priorité éducative. L’enseignement de la Révolution française n’est pas une base de construction humaine universelle ; il appartient à une culture, une histoire et une réalité sociales très éloignées de celle du Mali. Consacrer des heures à une révolution étrangère, au détriment d’une réflexion sur notre histoire, nos révolutions et nos enjeux contemporains, relève d’une vision importée et déconnectée.
Votre insistance sur les bouleversements sociaux et politiques français et européens montre la valeur que vous accordez à l’exemplarité historique, mais elle oublie la jeunesse malienne de 2025. Contrairement à ce que vous laissez entendre, notre jeunesse n’est pas animée par un désir immédiat de révolution sociale ou politique, ni par une énergie militante comparable à celle de 1789. La jeunesse malienne, et la jeunesse mondiale, vit dans un contexte radicalement différent : l’aspiration à la justice, à l’équité et à la transformation sociale ne se traduit plus par des barricades ou des guillotines, mais par des défis de gouvernance, d’économie et d’éducation. Prétendre la protéger en lui inculquant une révolution étrangère est une hérésie pédagogique.
La décision de suspension que vous contestez ne constitue pas un acte arbitraire, mais une opportunité de refonte du programme d’histoire au Mali, nécessaire et légitime. Le programme actuel a été conçu par des ex-colons et appliqué par les apprentis de ces ex-colons, ce qui explique son éloignement de notre réalité et son manque de vision interne. Repenser l’histoire enseignée, privilégier la connaissance de notre territoire, de nos sociétés et de nos propres luttes historiques, est une décision responsable et courageuse, et non une menace pour l’avenir.
Votre suggestion selon laquelle la jeunesse malienne pourrait se lancer dans une nouvelle révolution est un anachronisme complet. Nous ne sommes plus au XVIIIᵉ siècle ; le Mali ne connaît ni les conditions ni les motivations qui ont produit la Révolution française. Votre langage apocalyptique « plonger le Mali dans une nuit qui ne verrait plus le soleil » relève d’une nostalgie idéalisée et dépassée. Nous avons dépassé cette époque et cette pensée. Le Mali est à l’étape de l’éveil, encore loin de toute révolution au sens français ou européen. Dans notre société, la responsabilité est souvent reléguée au dernier rang au profit d’un système d’assistanat et de solidarité, qui rend toute comparaison avec la Révolution française inopérante et stérile.
Monsieur Ali Nouhoum Diallo, en persistant à placer votre idéal révolutionnaire au centre de l’éducation malienne, vous démontrez que vous n’êtes pas à la hauteur de l’enseignement adapté à notre société actuelle. Mille combats attendent le Mali et la Révolution française de 1789 n’en fait pas partie. La priorité doit être donnée à la construction d’un programme pertinent, enraciné dans notre culture, notre histoire et nos défis contemporains, et non à l’imitation d’une histoire étrangère dont l’impact pratique pour nos enfants est marginal.
Enfin, et pour reprendre votre propre texte, Robespierre a fini guillotiné. La leçon à tirer n’est pas dans la glorification des révolutions, mais dans la lucidité et l’adaptation au contexte. La jeunesse malienne mérite mieux que des modèles historiques importés et désuets, elle mérite un enseignement utile, rationnel et pertinent.
Bamako, le 5 novembre 2025
Un Malien profondément attaché à sa patrie



