« Relooted », le jeu vidéo qui récupère les artefacts africains dans les musées occidentaux

"Relooted", le jeu vidéo qui récupère les artefacts africains dans les musées occidentaux. © AFP

Sous couvert de l’obscurité, Nomali saute par-dessus un mur, fonce dans un musée et arrache un crâne humain de son socle avant de s’échapper par une fenêtre alors qu’une alarme se met à hurler.

Ce cambriolage n’est pas l’oeuvre d’un vrai criminel: Nomali est la protagoniste d’un nouveau jeu vidéo plein d’action, « Relooted », dans lequel les joueurs récupèrent des artefacts pris dans des pays africains pour être exposés en Occident.

Développé par le studio Nyamakop, basé à Johannesburg, « Relooted » se déroule dans un avenir imaginaire mais aborde un sujet d’actualité: les appels lancés aux institutions occidentales à rendre les biens pillés pendant la colonisation en Afrique.

Les joueurs ont pour mission de récupérer 70 artefacts – qui existent tous dans le monde réel – avec une « équipe de citoyens africains », indique la productrice Sithe Ncube, membre d’une équipe de 30 personnes travaillant sur le jeu.

Parmi les objectifs figurent des « bronzes du Bénin », des sculptures pillées dans l’ancien royaume du Bénin par l’armée britannique il y a plus de 120 ans. Les Pays-Bas en ont rendu officiellement une partie au Nigeria le 21 juin.

Un autre artefact à récupérer est le tambour sacré Ngadji des Pokomos, une population du Kenya. L’objet avait été confisqué par les autorités coloniales britanniques en 1902.

« Son enlèvement a déstabilisé la communauté », explique Mme Ncube, pendant qu’une image animée de l’instrument en bois clignote sur son écran d’ordinateur. Les joueurs « peuvent voir d’où il provient, et lire des informations sur son histoire », dit-elle en faisant une démonstration.

– « Est-ce du vol? » –

Sur l’écran, une équipe de personnages en costumes afrofuturistes discutent d’un plan pour récupérer les restes de chefs tanzaniens pendus par les forces coloniales allemandes.

L’un d’entre eux demande: « Est-ce du vol de reprendre ce qui a été volé? »

« Nous allons faire tout ce qui est nécessaire pour reprendre les biens de l’Afrique, et nous allons le faire ensemble », répond Nomali.

« Parfois les histoires derrière ces (artefacts) sont vraiment très tristes », constate Mme Ncube. « Cela vous montre à quel point le colonialisme a affecté (…) et façonné le monde ».

Ayant grandi en Zambie, elle connaissait l’histoire de l’emblématique « homme de Broken Hill », un crâne vieux de quelque 300.000 ans conservé au musée d’histoire naturelle de Londres, qui apparaît également dans « Relooted ».

Mais ce n’est qu’en travaillant sur le jeu que Mme Ncube a réalisé combien d’artefacts culturels africains étaient détenus à l’étranger, dit-elle.

En France seule, environ 90.000 objets provenant d’Afrique subsaharienne se trouvent dans des musées, selon un rapport commandé en 2018 par le gouvernement.

« Les Africains, pour vraiment voir ces choses qui font partie de leur propre culture, doivent obtenir un visa, payer un vol et aller dans un pays européen », déplore Mme Ncube. « De toute ma vie, je n’ai jamais vu l’homme de Broken Hill. »

– Identité faussée –

Le pillage des artefacts pendant des siècles a privé des communautés de leurs « archives » et de leurs « systèmes de savoirs », analyse Samba Yonga, cofondatrice du Musée numérique de l’histoire des femmes en Zambie.

Pourtant, « notre histoire précède la colonisation de millénaires », explique-t-elle, mais beaucoup de personnes « ne se rendent même pas compte que nous avons une perception faussée de nous-mêmes et de notre identité ».

Reprendre possession de ces objets permettrait « un changement dans la façon dont la prochaine génération voit sa culture et son identité », estime-t-elle.

Le même espoir sous-tendait « Relooted », qui a été présenté courant juin au Summer Game Fest de Los Angeles (Etats-Unis), où il a suscité beaucoup d’intérêt dans la diaspora et chez d’autres Africains, selon Mme Ncube.

« J’espère que le jeu encouragera les gens d’autres pays africains à vouloir raconter leurs propres histoires et mettre en lumière ces choses », dit-elle.

Un des personnages l’a particulièrement touchée: la professeure Grace, la grande-mère de Nomali, décrite comme « le cerveau de la mission ».

« J’ai commencé à voir ma propre grand-mère en elle », confie Mme Ncube, émue. « Elle représente un lien entre nos générations, menant le même combat que nous avons toujours mené. »

Avec AFP

 

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