Alors que les nuages s’amoncellent et l’humidité s’intensifie à travers l’Afrique de l’Ouest, prélude à la saison des pluies et à la prolifération des moustiques porteurs du paludisme, Musa Adamu Ibrahim, infirmier nigérian, reste chez lui, sans emploi.
Dans le nord du Nigeria, où le paludisme cause 30% des 600.000 décès annuels recensés dans le monde, les cliniques de l’État de Borno, qui accueillaient jusqu’à 300 patients par jour lors des pics de paludisme, ont brusquement fermé leurs portes.
« Les cliniques ont été fermées et il n’y a plus de médicaments gratuits ni de moustiquaires. Aucune distribution de mesures préventives », constate M. Ibrahim.
Déjà menacés par une insurrection djihadiste qui dure depuis plus de 15 ans et les groupes armés criminels, ces établissements ne peuvent désormais plus fonctionner, déplore l’infirmier nigérian, comme bien d’autres professionnels de la santé sur le continent.
Les cliniques ont été brutalement fermées à la suite du démantèlement de l’USAID, l’agence américaine de développement, par le président américain Donald Trump.
L’arrêt de la majorité de ses programmes fragilise considérablement les systèmes de santé en Afrique, qui reposent sur un réseau complexe composé d’acteurs publics, privés et d’ONG.
Les coupes budgétaires provoquent des dégâts durables: les cas de paludisme augmentent, des centres de traitement ferment, des médicaments n’arrivent plus, et des enfants meurent en chemin pour recevoir des soins.
Et ces répercussions, déjà flagrantes dans plusieurs pays africains, ne cesseront de s’amplifier selon les experts.
Les perturbations des chaînes d’approvisionnement font naître des craintes de pénuries de médicaments dans plusieurs pays comme le Mali, le Soudan du Sud ou le Kenya.
En Afrique sub-saharienne, « ceux qui ont des ressources pourront toujours se procurer des médicaments… Mais les plus pauvres, dans les zones reculées(…) seront laissés pour compte », prévient Lawrence Barat, ancien conseiller technique pour l’Initiative présidentielle américaine contre le paludisme (PMI).
« Ce sont leurs enfants qui mourront », déplore-t-il.
– Prévisions bouleversées –
Les stratégies mises en place par les gouvernement africains pour lutter contre le paludisme sont gravement affectées, explique Saschveen Singh, spécialiste des maladies infectieuses pour Médecins Sans Frontières (MSF).
Au Mali, les médicaments de chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS) pour enfants continueront d’arriver, mais les fonds américains sont cruciaux pour leur distribution.
En République Démocratique du Congo (RDC), le PMI, soutenu par l’USAID, était le principal fournisseur de médicaments et tests de dépistage dans les établissements publics de neuf provinces. A l’avenir, « il n’aura plus de médicaments et il sera très difficile pour les autres acteurs d’intervenir », estime Mme Singh, ajoutant que ses collègues « se démènent » pour déterminer où les pénuries risquent de se produire.
Au Soudan du Sud, les cliniques financées par l’USAID ont fermé leurs portes au milieu d’une épidémie de choléra.
Des enfants marchent des heures pour atteindre le centre de traitement le plus proche, et au moins cinq sont morts en cours de route dans l’État de Jonglei (est), a rapporté ce mois-ci l’ONG britannique Save the Children.
Dans le camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya, qui abrite plus de 300.000 personnes, des manifestations ont éclaté en mars à la suite de l’annonce d’une réduction des rations de nourriture. Les médecins du camp manquent également de médicaments.
« Dans toutes les cliniques aux alentours, vous pouvez obtenir du paracétamol. Mais il n’y a pas d’autres médicaments », a déclaré à l’AFP un ancien du camp, qui souhaite garder l’anonymat.
– « Un trou trop grand » –
À l’hôpital général de Kinkole, à Kinshasa, capitale de la RDC, les médecins ont récemment pris en charge 23 patients atteintes du virus mpox, isolés dans des tentes et traités gratuitement grâce au soutien américain. Mais ils sont dans l’incertitude quant à la poursuite de ce financement, alors que l’épidémie a déjà infecté 16.000 personnes et causé 1.600 décès.
« On se dit qu’une catastrophe arrive », glisse Yvonne Walo, une épidémiologiste de l’hôpital.
Les coupes de l’aide américaine destinée aux systèmes de santé devraient se poursuivre.
Selon Sania Nishtar, directrice général de Gavi, l’Alliance mondiale pour la vaccination, « c’est un trou trop grand pour être comblé ».
Dans l’Etat nigérian de Borno, où le gouverneur a récemment alerté sur le risque de résurgence du groupe jihadiste Boko Haram, Kunduli, une travailleuse humanitaire elle aussi récemment licenciée, souligne que le travail était déjà « accablant » même avec les financements américains. Alors sans eux… « Je ne peux même pas l’imaginer », dit-elle.
Avec AFP