A la manière dont il a méthodiquement redressé et recentré son parti, le chef des travaillistes britanniques Keir Starmer a mené une campagne volontairement sans éclat. Il entend incarner le retour du « sérieux » au Royaume-Uni et est bien parti pour entrer à Downing Street.
Rares sont ceux qui voyaient un futur Premier ministre dans cet ancien avocat spécialisé dans les droits humains et directeur du parquet général, lorsqu’il a succédé début 2020 au très à gauche Jeremy Corbyn à la tête d’un parti sonné par une déroute électorale historique face aux conservateurs.
Austère, peu charismatique, trop centriste pour une partie de la base militante, souvent assimilé à une élite londonienne pro-européenne déconnectée des classes populaires qui avaient voté en faveur du Brexit… les raisons d’être sceptique ne manquaient pas.
Quatre ans plus tard, le député de 61 ans, entré en politique sur le tard, a recentré son parti sans l’explosion redoutée, et sans état d’âme pour ceux qui refusaient de rentrer dans le rang. Et le Labour est donné grand favori des législatives de jeudi.
– « Pas directeur de cirque » –
Comparé pendant un débat télévisé à « un robot politique », le juriste au style sévère avec ses lunettes et ses cheveux gris à la raie impeccable retrousse les manches lorsqu’il sillonne le pays et insiste sur ses origines modestes.
« Mon père était outilleur et ma mère infirmière », rappelle systématiquement celui dont le prénom peu commun rend hommage au fondateur du Labour, Keir Hardie.
« Je sais ce que c’est que d’être gêné de ramener ses amis à la maison parce que la moquette est élimée et les fenêtres fissurées », a-t-il insisté lors de la présentation de son programme, ouvertement « pro-entreprises ».
Car sur le fond, pas question pour ce supporter du club de foot londonien d’Arsenal de dévier d’une politique centriste très prudente, sans promesse spectaculaire au nom du « sérieux » et de la situation délicate des finances publiques.
Au risque de manquer d’ambition ? « Je suis candidat pour être Premier ministre, pas directeur d’un cirque », réplique Keir Starmer, qui répète son mantra « le pays d’abord, le parti ensuite », après les nombreux scandales de l’ère conservatrice.
– Opposé au Brexit –
Né le 2 septembre 1962, Keir Rodney Starmer a grandi dans une petite maison de la périphérie de Londres avec un frère et deux soeurs, un père distant et une mère atteinte d’une maladie articulaire rare qui l’avait empêchée de marcher pendant des années.
Il a pris des cours de violon avec Norman Cook, ancien bassiste des Housemartins devenu célèbre sous le nom de Fatboy Slim.
Après des études de droit à Leeds puis Oxford, Keir Starmer a défendu des syndicats, bataillé contre McDonald’s et combattu la peine de mort dans les Caraïbes.
L’avocat Gavin Millar, qui a travaillé avec lui et reste un ami, le décrit comme « très minutieux, très travailleur, très concentré sur les dossiers, des qualités qui apparaitront s’il entre au 10, Downing Street.
« Il sera aussi très attaché à certaines valeurs fondamentales auxquelles il a toujours cru : l’égalité, les droits humains, la justice sociale, la réduction de l’écart entre les riches et les pauvres », assure-t-il à l’AFP.
Keir Starmer commence à s’orienter en 2003 vers des postes plus établis, et participe à la reconstruction des services de police en Irlande du Nord après les Troubles – les trois décennies du conflit nord-irlandais qui a fait plus de 3.500 morts.
Il prend la tête du parquet d’Angleterre et du Pays de Galles en 2008, où il supervise des poursuites contre des députés abusant de leurs frais de mandat, des journalistes accusés de piratages téléphoniques ou des jeunes lors des émeutes de 2011 en Angleterre.
Anobli en 2014 par la reine Elizabeth II, Keir Starmer utilise rarement le titre « Sir ».
Il est élu député travailliste d’une circonscription du nord de Londres en 2015 deux semaines après la mort de sa mère.
Malgré ses critiques contre Jeremy Corbyn, Keir Starmer devient le porte-parole des travaillistes sur le Brexit – contre lequel il a voté – avant de prendre en avril 2020 la tête du parti.
Il s’attaque aussitôt à l’antisémitisme rampant dans les rangs du Labour, conduisant à la suspension de son prédécesseur.
Malgré l’ampleur de la tâche qui l’attend s’il est élu, Keir Starmer se dit surtout inquiet pour sa fille et son fils restés invisibles pendant la campagne, tout comme sa femme Victoria.
Il a d’ailleurs déjà promis de réserver ses vendredis soirs à sa famille, les conservateurs s’empressant de railler un futur Premier ministre « à temps partiel ».
Avec AFP