Tchad : le principal pourfendeur de la junte tué dans un assaut, l’opposition hurle à l' »assassinat »

Yaya Dillo Djérou, opposant décédé dans l'assaut contre le siège de son parti. DR

Yaya Dillo Djérou, principal rival du chef de la junte au Tchad, le général Mahamat Idriss Déby Itno, a été tué dans l’assaut par l’armée du siège de son parti mercredi, l’opposition dénonçant jeudi un « assassinat » pour l’évincer de la présidentielle prévue dans deux mois.

L’opposant le plus virulent à Mahamat Déby, pourtant son cousin, a  « succombé à ses blessures » après avoir « lui-même tiré sur les forces de l’ordre », a affirmé jeudi le ministre de la communication Abderaman Koulamallah, ajoutant: « Retranché au siège de son parti, il avait refusé « de se rendre ».

L’assaut mercredi du siège du Parti socialistes sans frontières (PSF) de M. Dillo a fait quatre morts parmi les forces de l’ordre et trois dans le camp de M. Dillo, selon le ministre.

L’annonce jeudi de la mort de M. Dillo est intervenue au lendemain d’une journée très tendue au coeur de N’Djamena, l’assaut final du bâtiment ayant déclenché des tirs nourris au fusils d’assaut voire à l’arme lourde, comme en témoigne la façade criblée de très nombreux impacts.

« Programmé »

Il « est mort assassiné par la Garde républicaine », le corps d’élite de l’armée et garde prétorienne du chef de l’Etat, a jugé pour l’AFP Evariste Gabnon, porte-parole du PSF.

« Ça ne peut être qu’un assassinat programmé », a renchéri aiprès de l’AFP aussi Rakhis Ahmat, chef du Parti pour le Renouveau Démocratique du Tchad (PRDT).

Max Kemkoye, porte-parole de la deuxième plate-forme de l’opposition CGAP a également accusé le pouvoir militaire de transition d’avoir fait « assassiner » M. Dillo.

Il s’agit d’un « crime odieux et inadmissible » a commenté pour l’AFP aussi Max Loalngar, coordinateur de Wakit Tama, la principale plate-forme de l’opposition et de la société civile.

Selon le gouvernement, l’armée avait assiégé le PSF mercredi parce qu’elle voulait arrêter M. Dillo, accusé d’avoir été l’instigateur d’une « tentative d’assassinat » du président de la Cour suprême dix jours auparavant et d’avoir mené une « attaque » dans la nuit de mardi à mercredi du siège du tout-puissant service du renseignement, l’ANSE, qui a fait « plusieurs morts » selon M. Koulamallah.

« Mise en scène »

M. Dillo, 49 ans, le niait auprès de l’AFP quelques heures avant sa mort accusant en retour la junte et le président de la Cour suprême d’une « mise en scène » destinée à l’écarter de l’élection présidentielle prévue le 6 mai et à laquelle le général Déby ne fait pas mystère de son intention de se présenter.

« Etre candidat face » aux autorités « de transition », c’est être candidat à la mort », a asséné M. Kemkoye, ajoutant: « Nous attendons de la communauté internationale, qui s’apprête à financer un processus électoral qui commence par un assassinat, qu’elle engage une enquête indépendante ».

Mahamat Déby, alors jeune général de 37 ans, avait été proclamé par l’armée Président de transition à la tête d’une junte de 15 généraux le 20 avril 2021, à l’annonce de la mort de son père, le maréchal Idriss Déby Itno. Le patriarche dirigeait alors d’une main de fer ce vaste pays sahélien depuis plus de 30 ans.

Le nouvel homme fort de N’Djamena promettait aussitôt de rendre le pouvoir aux civils par des élections après une transition de 18 mois, mais il l’a  prolongée de deux ans sans cacher ses intentions de se présenter à la future présidentielle. L’opposition dénonçait une « succession dynastique » des Déby.

L’assaut de l’armée mercredi est survenu trois ans, jour pour jour, après une attaque similaire par les militaires du QG de M. Dillo et de son parti, le 28 février 2021, dans laquelle sa mère et l’un de ses fils avaient été tués. L’opposant était alors recherché pour avoir « diffamé » l’épouse du maréchal-président Idriss Déby, en l’accusant de détourner massivement de l’argent public.

Alors candidat à la présidentielle contre son oncle Idriss Déby, M. Dillo avait réussi à fuir à l’étranger mais la Cour suprême avait invalidé sa candidature.

Il était revenu au pays sous la présidence de son cousin Mahamat Déby en assurant « pardonner » les décès de sa mère et son fils.

Risque de coup d’Etat

Mais il est vite devenu l’un de ses plus farouches opposants et celui que le clan Déby, dont il fait partie, redoutait le plus, selon les politologues et l’opposition: parce qu’issu de la famille et de son ethnie des Zaghawa qui, bien que très minoritaire au Tchad, monopolise depuis plus de 33 ans les plus hautes positions dans l’appareil militaire et de l’Etat.

Le clan Déby et l’ethnie Zaghawa se fissurent chaque jour un peu plus ces dernières années, et même ouvertement aujourd’hui, estiment experts de la région et diplomates qui y voient un risque de coup d’Etat.

M. Dillo pouvait entraîner derrière lui une frange importante de caciques zaghawas hostiles à Mahamat Déby, surtout parmi les officiers supérieurs, selon ces analystes.

Dernière défection en date: un frère du défunt maréchal Déby, le général Saleh Déby Itno, a ostensiblement rallié le PSF de Yaya Dillo récemment. Il a été arrêté dans l’assaut mercredi.

« Cela n’a fait qu’augmenter la tension » au sein du clan, du pouvoir et de l’armée, analyse Evariste Ngarlem Toldé, politologue et recteur d’une université de N’Djamena.

Le Tchad, où l’armée française entretient encore un contingent, est le dernier partenaire privilégié de la France au Sahel, après le retrait contraint et forcé des militaires français du Mali en août 2022, du Burkina Faso en février 2023 et du Niger en décembre dernier.

Paris a indiqué vendredi suivre la situation « de très près » et conseillé de la « vigilance » à ses ressortissants.

Avec AFP

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