Les syndicats ont longtemps été des piliers incontournables dans la défense des droits des travailleurs. Leur mission principale, qui repose sur l’amélioration des conditions de travail et la défense des intérêts professionnels, a permis d’acquérir des droits fondamentaux pour les salariés. Cependant, au fil des décennies, cette noble vocation a été mise à mal par une évolution inquiétante, celle d’un engagement de plus en plus prononcé dans des causes politiques et sociétales, au détriment de la priorité qu’est la protection des travailleurs.
Les Exemples emblématiques dans le monde anglo-saxon : L’AFL-CIO aux États-Unis et les syndicats britanniques
Aux États-Unis, l’exemple de l’American Federation of Labor and Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO) est particulièrement éclairant. Initialement dédiée à la défense des travailleurs, cette grande fédération syndicale a, au fil des années, élargi ses engagements à des causes politiques – telles que les droits des minorités ou la lutte contre le changement climatique. Si ces luttes sont certes légitimes, leur prise en charge par un syndicat a divisé ses membres et affaibli sa mission principale : défendre les droits des travailleurs. Une politisation excessive a engendré une perte d’influence parmi ses adhérents, nombreux à estimer que l’AFL-CIO s’éloignait de son rôle originel.
Au Royaume-Uni, le Trade Union Congress (TUC), autrefois force de proposition dans la défense des travailleurs, a connu une évolution similaire. De nombreuses grèves récentes ont été marquées par des revendications politiques, comme les positions des syndicats sur le Brexit ou leur opposition au gouvernement, au lieu de se concentrer sur des enjeux essentiels liés aux salaires ou aux conditions de travail. Cette dérive, où l’engagement politique a pris le pas sur la mission syndicale, a sérieusement fragilisé leur crédibilité et leur capacité à représenter les intérêts des salariés.
Ces exemples, que ce soit aux États-Unis ou au Royaume-Uni, illustrent la déviation du syndicalisme de sa mission première, ce qui a pour conséquence une perte de crédibilité et d’efficacité dans la défense des droits des travailleurs.
Le Syndicalisme malien : Une confusion croissante des priorités
Le phénomène de dérive syndicale n’épargne pas le Mali. Récemment, plusieurs événements ont mis en lumière les tensions internes qui dénaturent les syndicats maliens de leur objectif initial. Les cas de l’affaire Broulaye Samaké et de la grève au CHU Gabriel Touré sont des exemples criants de cette confusion grandissante des priorités.
L’Affaire Broulaye Samaké : Une confusion sur la mission des syndicats
L’affaire Broulaye Samaké, où un syndicat a consacré une énergie disproportionnée à la défense d’un cas privé, illustre de manière éclatante le dévoiement des objectifs syndicaux. En s’éloignant des préoccupations collectives des travailleurs pour se concentrer sur une cause personnelle, le syndicat a fragilisé sa crédibilité. Cette focalisation sur des sujets périphériques a semé le doute quant à sa capacité à défendre véritablement les droits des travailleurs en condition de travail et en rapport avec son travail.
La grève du CHU Gabriel Touré : Quand les luttes internes éclipsent la cause collective
Autre exemple : la grève du Centre hospitalier universitaire Gabriel Touré en 2023. Bien que des revendications légitimes sur la gouvernance et les conditions de travail soient à l’origine du mouvement, cette grève a révélé des tensions internes au sein des syndicats. Les revendications ont parfois semblé davantage motivées par des luttes de pouvoir internes que par une volonté de trouver des solutions concrètes et durables aux problèmes du secteur de la santé. Ce décalage entre les préoccupations internes et la mission de défense des travailleurs a conduit à un affaiblissement du rôle des syndicats, au détriment des salariés qu’ils sont censés protéger.
L’Affaire EDM-Ecobank : Un engagement dévoyé
L’affaire EDM-Ecobank, survenue en mars 2025, montre une autre facette de ce phénomène. Le SYNABEF (Syndicat National des Assurances, Banques et Établissements Financiers) a lancé une grève pour soutenir des travailleurs impliqués dans une affaire complexe de malversations liées à un projet énergétique. Si l’objectif initial était de défendre les travailleurs, l’implication du syndicat dans une affaire largement politique et économique a brouillé son rôle et sa mission. Une fois de plus, la défense des droits des travailleurs a été éclipsée par des enjeux extérieurs à la sphère syndicale.
Le Rôle fondamental des syndicats : Défendre les travailleurs dans le cadre de Leur travail
L’évolution du syndicalisme, qu’il s’agisse des exemples anglo-saxons ou maliens, montre une dérive préoccupante, un éloignement croissant des syndicats de leur mission originelle, au profit d’engagements politiques ou sociétaux qui diluent leur efficacité. Les cas cités – l’affaire Broulaye Samaké, la grève au CHU Gabriel Touré, et l’affaire EDM-Ecobank – sont autant de symboles de ce phénomène inquiétant.
Un syndicat doit avant tout défendre les intérêts des salariés dans le cadre strict de leur travail et de leurs missions professionnelles. Sa légitimité repose sur cette capacité à représenter les préoccupations quotidiennes des travailleurs, que ce soit en matière de conditions de travail, de rémunération ou de sécurité. En aucun cas un syndicat ne doit se laisser détourner de cette mission essentielle par des causes extérieures à cette réalité professionnelle. Lorsque cette mission fondamentale est négligée au profit de luttes politiques ou sociales, c’est toute l’efficacité du syndicalisme qui est mise en péril, et avec elle, la protection des droits des travailleurs.
Il est impératif que les syndicats se recentrent sur leur rôle essentiel : défendre les droits des travailleurs, lutter pour de meilleures conditions de travail, et s’assurer que leurs actions répondent aux préoccupations collectives de leurs membres. Si cette redéfinition de leur mission n’est pas opérée, leur légitimité et leur influence continueront de s’effriter, et leur capacité à jouer un rôle décisif dans les luttes sociales sera irrémédiablement compromise.
Manda Cissé