Salif Keïta l’avait juré: jamais il ne ferait d’album acoustique. Mais, par « amitié », le chanteur malien s’est laissé amadouer et livre un disque épuré, un retour aux sources pour « la voix d’or de l’Afrique ».
Depuis ses débuts solo dans les années 1980, le chantre de la musique mandingue s’accrochait à ce principe.
« Je n’aime pas l’acoustique, parce que je ne suis pas un bon guitariste », lance Salif Keïta, rencontré par l’AFP à Paris, où il donne un concert mercredi soir au Trianon. « C’est pas assez habillé, je suis habitué à beaucoup de personnes sur scène, à l’électrique ».
L’artiste de 75 ans a donc créé la surprise en sortant « So kono » (« Dans la maison » en malinké), disque 100% acoustique enregistré dans une chambre d’hôtel à Kyoto, au Japon, où s’entremêlent chansons originales et reprises dépouillées.
« Qu’est-ce que l’amitié ne peut pas décrocher ? », s’exclame le chanteur, qui signe son retour sept ans après « Un autre blanc ».
L’ami, c’est Laurent Bizot, patron de No Format!, label parisien indépendant qui convainc des artistes connus de s’exprimer hors de leurs sentiers battus.
« Salif a fait beaucoup d’albums très produits, c’est souvent très luxuriant. Moi, j’adore l’entendre à Bamako seul avec sa guitare », avait-il raconté à l’AFP en 2024.
– « Troubadour » –
Enregistrer « So kono » dans cette chambre, c’était « comme si je chantais pour moi, comme si je jouais pour moi. C’était l’intimité », confie l’intéressé.
Le disque revient aux fondamentaux, car c’est à sa voix que Salif Keïta doit son émancipation
« Ça m’a rappelé quand j’étais troubadour dans les bars, quand je me promenais avec ma guitare dans les bistrots », se souvient l’artiste, qui a connu l’ostracisme envers les albinos, victimes de meurtres rituels dans certaines régions d’Afrique.
Désormais, « il y a beaucoup d’associations qui se battent à travers le monde. Je suis vraiment content d’avoir contribué » à cette cause, souligne le musicien, dont l’album « Folon », dédié aux enfants albinos, fête ses 30 ans.
Parmi ses autres motifs de fierté: sa fille, la para-athlète franco-malienne Nantenin Keïta. Née albinos également – ce qui provoque une déficience visuelle – elle a été porte-drapeau de la délégation française aux Jeux de Paris.
« Je crois qu’elle a compris qu’il faut se battre », glisse son père.
– Remixé par Martin Solveig –
Salif Keïta ne s’en cache pas, la musique l’a « sauvé ». Sans quoi il aurait probablement fini « paumé dans une salle de classe, ou bien cultivateur, ou bien rien du tout », imagine-t-il.
Les années passent mais la scène reste un bain de jouvence, comme en juillet 2024, lorsqu’il apparaît en première partie de la superstar nigériane Burna Boy. « J’ai découvert les jeunes dans leur folie et dans d’autres musiques, d’autres façons de faire », se réjouit-il, soulignant que « la musique africaine a explosé partout » et « inspiré beaucoup de choses ».
Certaines de ses chansons ont elles aussi traversé les frontières: en 2002, Martin Solveig reprend son titre « Madan ». Le succès lance la carrière du DJ français.
Rebelote fin 2024: le DJ italien MoBlack remixe « Yamore », où Salif Keïta et la chanteuse cap-verdienne Cesaria Evora (décédée en 2011) rivalisent d’envolées vocales.
L’artiste entrevoit une explication à ces reprises qui cartonnent: l’authenticité initiale. « Je fais la musique avec le cœur. »
Légende vivante de la musique africaine, il a annoncé plusieurs fois la fin de sa carrière mais se montre désormais prudent: « Si on arrête, on s’ennuie! Car il y a plein de vie avec (la musique). C’est un médicament thérapeutique. »
En tournée européenne, dont des festivals en France, Salif Keïta continue en parallèle de soutenir le régime militaire en place au Mali, accusé de museler l’opposition qui exige le retour des civils au pouvoir.
« Je soutiens toujours les militaires » qui sont « venus parachever une révolution », estime celui qui a été nommé conseiller spécial du chef de l’État.
« Face à la corruption, il n’y avait pas d’autre solution », affirme Salif Keïta. « Tant qu’il n’y a pas la sécurité, il n’y a pas d’élections. Ce ne seraient pas des élections crédibles », ajoute-t-il, convaincu d’un avenir « positif » pour son pays.
Avec AFP