Dans les rues, les débats de quartier ou les discussions en ligne, une dynamique insidieuse s’installe : celle de la désinformation. Elle n’avance pas frontalement, elle s’infiltre doucement, souvent par les mots de tous les jours. Elle prospère dans l’ignorance, dans le besoin de se faire une opinion rapide, dans le confort de répéter ce que l’on a entendu plutôt que d’aller chercher ce que l’on ignore.
Aujourd’hui au Mali, comme dans bien des sociétés fragilisées par la méfiance et les tensions, le plus grand danger ne vient pas toujours de ceux qui mentent sciemment. Il vient de ceux qui croient savoir sans jamais avoir vérifié. Et ils sont nombreux.
L’opinion publique prise en otage
Les conversations sont révélatrices. On juge un médecin ou un juge en fonction d’une rumeur. On prend position dans un conflit économique ou politique en se basant uniquement sur ce qu’un leader a laissé entendre lors d’un meeting. Les faits ? Ils sont relégués au second plan, souvent considérés comme superflus.
Un exemple simple mais révélateur : – « Le juge a incarcéré le Dr Samaké parce qu’il a trop de pouvoir. » – « As-tu lu les éléments de l’enquête ? » – « Non. »
Et pourtant, le jugement est posé, la colère est déclenchée, la réputation est entachée.
Ce n’est pas un cas isolé. Cette logique s’applique à tous les sujets : politique, justice, économie, société civile. Qu’un homme politique prenne la parole, et le récit se construit. Peu importe s’il est incomplet ou biaisé, il sera repris, amplifié, parfois modifié, jusqu’à devenir une « vérité » populaire.
Ce glissement est dangereux. Car il transforme le citoyen en relais involontaire de la manipulation. L’opinion publique, sans qu’elle s’en rende compte, devient un outil. Une arme au service d’intérêts souvent contraires à ceux de la société elle-même.
La responsabilité de savoir avant de juger
Dans un pays, s’indigner est légitime. Réagir, s’exprimer, critiquer : tout cela est sain, nécessaire même. Mais encore faut-il que ces prises de position reposent sur quelque chose de solide. Sur une connaissance, une compréhension, une lecture. Car une opinion non fondée n’est pas une opinion, c’est une rumeur maquillée en conviction.
On entend dire que le gouvernement « exagère » face à une compagnie minière. Mais combien savent réellement les raisons du contentieux ? Combien ont pris le temps de s’informer, de lire le contrat qui les lie, les accords signés, ou même la déclaration officielle du gouvernement ?
C’est la même situation quand on accuse l’État de vouloir « faire taire » les partis politiques à travers une réforme. On justifie l’illégalité de cette initiative à travers la constitution, la charte de la transition. Mais combien de maliens ont lu la Constitution, la charte de la transition? Qui peut dire en connaissance de cause ce que les deux autorise ou non ?
Trop souvent, la réponse est la même : « Non, je ne l’ai pas lu, mais… »
Ce « mais » est le point d’entrée de tous les glissements. Il transforme l’ignorance d’une situation en posture figée, et l’opinion mal informée en verdict public. Une société qui fonctionne ainsi n’avance pas, elle s’enfonce. Elle devient perméable aux manipulations, vulnérable aux discours les plus simplistes, les plus extrêmes, les plus dangereux.
La connaissance comme rempart contre la dérive
Il est urgent de redonner toute sa place à l’information rigoureuse, à l’analyse, à l’effort de compréhension. Cela ne signifie pas qu’il faut faire confiance aveuglément aux institutions ou se taire face à l’injustice. Mais cela signifie qu’il faut savoir, avant de juger.
Lire une décision de justice. Comprendre un article de loi. Vérifier la source d’une déclaration. Croiser les points de vue. Voilà des gestes simples, mais essentiels, pour reconstruire un espace public fondé sur le dialogue et non sur l’opposition stérile
Face à la désinformation, la passivité est une complicité. Et dans un pays où chaque tension peut être exacerbée par une fausse rumeur, chaque citoyen porte une part de responsabilité.
S’informer, aujourd’hui, est un acte citoyen. Un acte de résistance. Résistance contre la paresse intellectuelle. Contre les discours simplistes. Contre ceux qui veulent instrumentaliser le peuple en le maintenant dans l’ignorance.
Le Mali mérite une société consciente, lucide, responsable. Il mérite des débats fondés sur la vérité, même complexe, plutôt que sur le confort de l’illusion.
La question à poser avant de répéter ce que l’on a entendu est simple, mais essentielle : – « L’as-tu lu ? Le sais-tu vraiment ? » – Si la réponse est non, alors il vaut mieux se taire que de renforcer un mensonge.
Manda Cissé
Analyste politique