Une décision de justice qui a l’effet d’un coup de tonnerre politique: Marine Le Pen a été condamnée lundi à une inéligibilité immédiate pour cinq ans qui compromet sa candidature à la présidentielle de 2027, dans l’affaire des assistants parlementaires européens.
La cheffe de file de l’extrême droite a également écopé d’une peine d’emprisonnement de quatre ans dont deux ferme aménagés sous bracelet électronique (elle n’ira pas en prison), et d’une amende de 100.000 euros.
Dénonçant un « coup à la démocratie », son avocat Me Rodolphe Bosselut a annoncé qu’elle allait « faire appel ».
Mais la marche vers la présidentielle d’une des favorites -un sondage publié dimanche dans le JDD la créditait de 34 à 37% d’intentions de vote au 1er tour- apparaît très fortement compromise: vu les délais habituels de la justice. Le procès en appel ne devrait pas se tenir, au minimum, avant un an, avec une décision plusieurs semaines plus tard, soit pas avant la fin 2026, à quelques mois de la présidentielle.
Et sans garantie que la cour d’appel rende une décision différente de celle du tribunal.
Marine Le Pen, qui sera au journal de 20H00 de TF1, ne s’est pas encore exprimée publiquement. Dans la matinée, elle a quitté la salle d’audience sans attendre la fin du jugement, au moment où la présidente Bénédicte de Perthuis a annoncé qu’elle ordonnerait l’inéligibilité immédiate.
Elle a ensuite traversé le tribunal sans s’exprimer face aux caméras la suivant, puis est montée dans une voiture qui l’attendait pour se rendre au siège parisien du RN.
– « Tache indélébile »
Le tribunal a « pris en considération, outre le risque de récidive, le trouble majeur à l’ordre public, en l’espèce le fait que soit candidate à l’élection présidentielle une personne déjà condamnée en première instance », a justifié la présidente.
L’annonce de l’inéligibilité immédiate a provoqué un moment de flottement dans la salle d’audience. Sans relever le départ de Marine Le Pen, le tribunal a poursuivi sa lecture et commencé à appeler à la barre chaque condamné pour lui annoncer sa peine.
Considérant qu’il y avait bien eu un « système » mis en place entre 2004 et 2016 pour faire faire des « économies » au RN en payant avant l’argent du Parlement européen des assistants d’eurodéputés travaillant en réalité pour le parti, le tribunal a condamné 23 autres personnes au total, ainsi que le FN devenu RN, qui s’est vu infliger deux millions d’euros d’amende, dont un million ferme, et une confiscation d’un million d’euros saisis pendant l’instruction.
Le parti et les autres condamnés devront aussi payer quelques 3,2 millions d’euros au Parlement (le montant total des détournements s’élève à 4,4 millions mais 1,1 ont déjà été remboursés).
Marine Le Pen a reçu plusieurs soutiens à l’étranger, en particulier de l’extrême droite européenne, avant même la fin de la lecture du jugement.
Le Kremlin a déploré une « violation des normes démocratiques », tandis que le Premier ministre hongrois Viktor Orban sur X a écrit « Je suis Marine! » sur X.
Elon Musk, le multimilliardaire américain et allié de Donald Trump a dénoncé un « abus du système judiciaire », prévenant qu’il y aurait « un retour de bâton ».
« C’est la démocratie française qui est exécutée », a réagi le président du RN Jordan Bardella, qui a directement rejoint Marine Le Pen au siège du parti. Une réunion de crise s’y est tenue dans l’après-midi.
Le vice-président du parti et maire de Perpignan Louis Aliot, lui-même condamné dans ce dossier (mais pas à une inéligilibité immédiate, il conserve donc l’hôtel de ville) a de son côté dénoncé une « intrusion dans le jeu électoral (…) qui laissera une tache indélébile dans l’histoire de notre démocratie ».
Le Premier ministre François Bayrou (relaxé pour des faits similaires mais en attente d’un second procès) a lui été « troublé » selon son entourage, alors que le patron de LFI, Jean-Luc Mélenchon (visé par une enquête dans un dossier semblable) a estimé que « la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple ».
– « Indépendance de l’autorité judiciaire » –
En réponse « aux réactions virulentes », le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) français s’est fendu d’un rare communiqué pour dire son « inquiétude », les jugeant « de nature à remettre en cause gravement l’indépendance de l’autorité judiciaire ».
Le prononcé d’une peine d’inéligibilité « apparaît nécessaire », a justifié la présidente du tribunal, soulignant la « gravité des faits ». Elle a mis en avant « leur nature systématique », « leur durée », le « montant des fonds détournés » mais aussi « la qualité d’élu » des personnes condamnées, et « l’atteinte portée à la confiance publique et aux règles du jeu démocratique ».
Devant Marine Le Pen, 56 ans, assise en veste bleue au premier rang, le tribunal avait rapidement annoncé que les neuf eurodéputés poursuivis étaient coupables de détournement de fonds publics, et les douze assistants coupables de recel.
Marine Le Pen était « au coeur de ce système », encore plus quand elle a pris la suite de Jean-Marie Le Pen à la tête du parti à partir de 2011. « Elle s’est inscrite avec autorité et détermination dans le fonctionnement instauré par son père » dès 2004, a estimé le tribunal.
Il n’y a pas eu d' »enrichissement personnel » mais « il y a bien un enrichissement du parti », a martelé la présidente, notant que les salaires octroyés aux assistants parlementaires étaient plus « confortables » que ce que le parti aurait pu se permettre.
A Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), fief électoral de Marine le Pen où elle est députée depuis 2017, des partisans ont dénoncé l’inéligibilité immédiate, une décision « politique » pour eux.
« C’est honteux parce qu’elle avait sa place » dans l’élection présidentielle et « elle ne pourra pas se présenter. Donc voilà, ils veulent l’éliminer du service politique », a estimé Karine Groulez, aide-soignante de 56 ans.
Avec AFP