Les Tchadiens votent lundi pour mettre fin à trois ans de pouvoir militaire dans une présidentielle qui se résume à un duel inédit entre le chef de la junte, le général Mahamat Idriss Déby Itno, et son Premier ministre Succès Masra, ex-opposant rallié à son régime. Mais l’opposition, violemment réprimée et écartée de la course, appelle à boycotter un scrutin « joué d’avance » pour perpétuer une « dynastie Déby » de trois décennies, et des ONG doutent de la crédibilité de l’élection.
A N’Djamena, l’affluence était relativement faible à l’ouverture du scrutin dans cinq bureaux, ont constaté des journalites de l’AFP. Dans le quartier d’Abena, où siège le parti de Masra, Les Transformateurs, aucun électeur n’attendait au bureau de vote N° 1, et une dizaine seulement au numéro 3, tous des jeunes.
Dans le bureau où devait voter le général Déby, à deux pas de la présidence, quelques électeurs patientaient encore une heure après l’ouverture du scrutin.
Au début de la campagne, tous les observateurs prédisaient une victoire massive du président de transition Déby après qu’il eut fait écarter tous ses rivaux les plus dangereux.
Mais l’économiste Masra, accusé par ses anciens alliés de l’opposition d’être un « traître » rallié au système Déby et vrai-faux candidat pour « donner un vernis démocratique » au scrutin, est apparu en fin de campagne comme un possible trouble-fête. Capable au moins de pousser le général à un second tour, en drainant des foules imposantes à ses meetings.
– « Premier tour » –
« Je suis très contente d’avoir voté pour le changement », s’enthousiasme une électrice, Yolane Madjilar, près d’un bureau installé en plein air près d’une route dans un quartier populaire. « Je n’aime pas la fraude, si quelqu’un m’accompagne ce soir, j’irai observer le dépouillement ».
Déby et Masra, âgés de 40 ans, se sont dits chacun convaincu d’être élu dès le premier tour. Huit autres candidats ne peuvent espérer que des miettes, car peu connus ou réputés peu hostiles au pouvoir.
« Tous ceux qui ont montré qu’ils veulent un changement massif doivent aller voter massivement, de façon pacifique », a lancé M. Masra, boubou bleu profond et taghihé (la coiffe traditionnelle) assorti, après avoir voté.
Le général Déby, lui, entouré de nombreux bérets rouges lourdement armés de la toute puissante garde présidentielle, était inaccessible pour les journalistes hors la presse d’Etat mais, sa page Facebook assure qu’il a proclamé, après avoir voté, son « engagement » pour un « retour à l’ordre constitutionnel ».
Le 20 avril 2021, après avoir régné 30 ans d’une main de fer sur le Tchad, le maréchal Idriss Déby Itno était tué par des rebelles au front. Quinze de ses fidèles généraux proclamaient son fils Mahamat président d’une transition de 18 mois.
Il était aussitôt adoubé par une communauté internationale — France et Union africaine en tête — prompte à condamner et sanctionner les militaires putschistes ailleurs en Afrique, au motif principal que le Tchad est réputé être le pilier régional de la guerre contre les jihadistes au Sahel.
Mais 18 mois plus tard, la junte prolongeait la transition de deux ans et les militaires tuaient par balle plus de 300 jeunes selon les ONG, une cinquantaine selon le pouvoir, qui manifestaient contre cette extension. Plus d’un millier étaient déportés dans un bagne en plein milieu du désert, et des dizaines exécutés ou torturés, selon les ONG.
Les principaux cadres de l’opposition étaient traqués et certains — dont M. Masra — ont fui en exil.
– « Assassiné » –
L’un d’eux, resté au pays, Yaya Dillo Djérou, cousin et principal rival du général Déby pour la présidentielle, a été tué le 28 février dernier par des militaires à l’assaut du siège de son parti. « Assassiné », « d’une balle dans la tête à bout portant », selon l’opposition et des ONG internationales.
Vendredi, la Fédération Internationale pour les droits humains (FIDH) s’est inquiétée d’une « élection qui semble ni crédible, ni libre, ni démocratique », « dans un contexte délétère marqué par (…) la multiplication des violations des droits humains », dont la mort de Dillo.
Le même jour, l’ONG International Crisis Group (ICG) a également émis des « doutes sur la crédibilité du scrutin » après l’éviction des candidats d’une « opposition politique muselée ».
Les deux ONG mettent aussi en doute « l’indépendance » des institutions chargées d’organiser le scrutin et de proclamer les résultats, dont les membres ont été nommés par M. Déby: le Conseil constitutionnel — qui avait invalidé dix candidats dont le remplaçant de M. Dillo — et l’Agence nationale de gestion des élections.
« Le nouveau code électoral a supprimé l’obligation d’afficher les procès-verbaux (de dépouillement) à l’extérieur des bureaux de vote et permet de ne publier les résultats qu’au niveau régional, ce qui empêchera les observateurs de consolider les résultats par bureau de vote pour vérifier les chiffres », regrette ICG.
Les résultats sont attendus le 21 mai, avec un éventuel second tour le 22 juin.
Avec AFP