Le Sénégal guette vendredi la première prise de parole depuis des mois des opposants antisystème Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, à même désormais de conduire la campagne de la présidentielle forts de l’exaltation soulevée par leur sortie de prison dix jours avant l’élection.
Des milliers de Dakarois en liesse se sont pressés jusque tard dans la nuit parmi les chants et les danses sur le trajet de quelques kilomètres emprunté en voiture par les deux hommes à travers la capitale de la prison du cap Manuel à leur domicile.
Ousmane Sonko, acteur d’un bras de fer meurtrier de plus de deux ans avec le pouvoir, est resté invisible du plus grand nombre.
Son second, candidat à la présidentielle à sa place et avec son assentiment, s’est montré brièvement et a pris un peu de hauteur à travers le toit ouvrant de sa voiture pour s’adresser, en boubou bleu, casquette blanche et drapeau national sur les épaules, à une foule considérable.
Levant le bras au ciel, souriant après presque un an de détention et posé malgré les clameurs, il a salué le « soutien et (la) solidarité » montrés par ses partisans. Il a mis en avant ce que son camp appelle « le projet » pour signifier que l’accession à la présidence n’est pas une affaire de personnes entre lui et M. Sonko.
« Demain (vendredi) on tiendra une conférence de presse. On vous dira demain où elle se tiendra et où notre caravane prendra son départ », a-t-il dit en faisant référence au convoi appelé à parcourir le pays pour défendre sa candidature à la présidentielle du 24 mars.
MM. Faye et Sonko ont bénéficié d’une loi d’amnistie adoptée la semaine passée à l’instigation du président Macky Sall pour, a dit ce dernier, apaiser les esprits après trois ans de tensions ravivées par un report de dernière minute de la présidentielle.
Après des jours de conjectures, la loi a été promulguée et « c’est parce qu’elle est promulguée (qu’ils) sont sortis », a dit Yoro Dia, porte-parole de la présidence.
Le rassemblement spontané autour de MM. Sonko et Faye est le plus important provoqué par aucun des 19 candidats depuis le lancement de la campagne. Il confirme la capacité de traction de M. Faye et bien plus encore de M. Sonko, dont le nom était dans toutes les bouches bien que ce ne soit pas lui le candidat. Cet effet d’entraînement va être mis à l’épreuve de la campagne.
La campagne officielle s’est ouverte le 9 mars sans que M. Faye ni M. Sonko n’y prennent part. M. Faye a été empêché d’enregistrer ses messages pour la télévision publique.
Son camp a fait campagne pour lui et présenté en son absence le programme d’un homme qui se veut le « candidat du changement de système » et d’un « panafricanisme de gauche », promet de restituer au Sénégal sa souveraineté et renégociera, s’il est élu, les contrats d’exploitation du gaz et du pétrole ainsi que les accords de défense.
– Souverainistes, panafricanistes –
Cette plateforme décline les thèmes du discours caractéristique de M. Sonko, qui, avec ses diatribes contre corruption publique, les élites, les multinationales et l’emprise économique et politique exercée selon lui par l’ancienne puissance coloniale française, ont fait le succès du Pastef, son parti.
La mise en cause de M. Sonko par la justice, conjuguée aux tensions économiques et sociales et au flou longtemps maintenu par le président Sall sur un troisième mandat, a donné lieu entre 2021 et 2023 à différents épisodes d’émeutes, de pillages et de saccages.
Le président Sall a renoncé à se représenter. Mais le report in extremis de la présidentielle initialement prévue le 25 février a causé de nouveaux heurts.
Des dizaines de personnes ont été tuées et des centaines arrêtées depuis 2021 au cours de troubles qui ont fortement ébranlé un pays considéré comme l’un des plus stables d’une Afrique de l’Ouest secouée par les coups de force.
Condamné en 2023 à de la prison avec sursis pour diffamation contre un ministre et à deux ans de prison ferme pour détournement de mineure, M. Sonko, 49 ans, a finalement été interpellé fin juillet 2023, et inculpé pour appel à l’insurrection, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et atteinte à la sûreté de l’Etat. Son parti a été dissous.
M. Sonko a été disqualifié de la présidentielle en janvier. Son camp, avec son accord, a désigné M. Faye à sa place.
M. Faye, secrétaire général du Pastef était lui-même détenu depuis avril 2023. Il a été inculpé d’outrage à magistrat, diffamation et actes de nature à compromettre la paix publique, selon un de ses avocats, après la diffusion d’un message critique contre la justice dans le dossier Sonko.
Avec AFP