Interview de Modibo Mao Makalou, économiste. AES: l’intégration et la mutualisation constituent une opportunité unique

Interview de Modibo Mao Makalou, économiste. AES: l’intégration et la mutualisation constituent une opportunité unique. ©️DR

Comment va l’économie de l’AES?
Modibo Mao MAKALOU : Le Traité instituant la Confédération des États de l’Alliance des États du Sahel (Confédération AES) a été adopté par la 1ère Conférence des Chefs d’État des 3 pays membres (Burkina Faso, Mali et Niger) qui s’est tenue le 6 juillet 2024 à Niamey, la capitale du Niger. Les États de la confédération comptent mutualiser leurs moyens et efforts dans des secteurs jugés stratégiques tels que l’agriculture, l’élevage, l’eau, l’énergie, les mines et les transports. Les trois pays sahéliens qui ont une démographie galopante sont peu électrifiés mais très ensoleillés figurent aussi parmi les pays les moins bien classés au niveau de l’indice de développement humain (IDH), un indice composite qui évalue concomitamment le revenu par habitant, le taux de scolarisation et le taux d’accès aux soins de santé. Les 3 pays membres de la Confédération AES ont des économies extraverties (plus de 60% du PIB dépend du commerce extérieur), et des économies peu diversifiées essentiellement agro-sylvo-pastorales et minières dépendantes des prix internationaux des matières premières donc assujetties aux chocs exogènes. Malgré ces différents défis la Confédération des États du Sahel possède des opportunités économiques qu’elle pourrait exploiter en optant pour une transformation structurelle de leurs économies qui augmentera les revenus des populations des populations en créant de la valeur ajoutée à la production nationale des biens et services et aussi des emplois.
Pour intégrer leurs économies, les pays de l’AES devraient réduire les obstacles aux échanges commerciaux et à l’investissement et relier leurs réseaux d’infrastructure. Ils devraient axer leurs efforts sur la libéralisation des échanges de biens et de services et celle des marchés financiers et des marchés du travail.

Les dirigeants de l’AES ont annoncé la création d’un fonds de stabilité et d’une banque d’investissement et la mise en place d’une union économique et monétaire. Est-ce envisageable ?
MMM : La mise en place des banques publiques d’investissement vise en premier lieu à orienter les investissements vers des infrastructures ou des secteurs économiques considérés par l’État comme prioritaires. En deuxième lieu, elle vise aussi à pallier les imperfections du marché en intervenant dans des domaines jugés peu ou pas rentables par les investisseurs privés, bien qu’ils soient essentiels pour la cohésion sociale et la bonne marche de l’économie. On pourrait par exemple citer les services sociaux de base comme l’éducation ou la santé, mais aussi l’habitat social, l’assainissement et l’agriculture familiale, qui par ailleurs constitue une source de revenus essentielle pour la majorité de la population des 3 pays membres de l’AES.
Les fonds de stabilisation ou de réserve, ont par contre pour ambition non seulement de limiter la dépendance d’une économie au secteur des matières premières, mais aussi de protéger les pays qui l’instaure des effets néfastes, notamment en termes de dépenses publiques et de croissance économique, de l’instabilité des revenus liés à l’exportation des matières premières. La volatilité du prix des matières premières crée une instabilité des recettes fiscales ce qui impacte négativement la mise en œuvre de la politique budgétaire.
Les fonds de stabilisation sont habituellement destinés à remédier aux problèmes liés à la volatilité et à l`imprévisibilité des recettes des matières premières (or, coton, uranium, pétrole et autres produits de base…), et à la nécessité d`épargner une partie des recettes de ces produits de base pour les générations futures (fonds d’« épargne »), ou aux deux.
L’intégration et la mutualisation des richesses et des potentialités constituent une opportunité unique pour nos 3 pays de capitaliser sur l’interdépendance et la complémentarité économiques en exploitant les avantages comparatifs en termes d’industrialisation et d’exploitation des ressources financières, humaines et naturelles.

L’AES pourrait-elle créer sa propre monnaie et avoir une politique monétaire efficace ?

MMM: Une union économique et monétaire pourrait favoriser une utilisation plus efficace des ressources et stimuler la croissance économique.
Les États ont des politiques économiques et parmi les quatre fonctions régaliennes, une de ces fonctions est de battre monnaie : imprimer de billets de banques, fabriquer des pièces et les mettre à la disposition des entreprises, des ménages, et de l’ensemble des citoyens et des banques. ‘‘Battre monnaie’’, c’est l’action de créer physiquement de la monnaie. La monnaie remplit trois fonctions essentielles qui sont aussi différentes. C’est un moyen d’échange, à savoir un moyen de paiement ayant une valeur, fiable aux yeux de tous. La monnaie est également une unité de compte permettant d’établir le prix des biens et des services. Et elle constitue aussi une réserve de valeur.

La création d’une monnaie nationale est une décision politique qui doit répondre à des impératifs techniques de fixation du taux de change (quantité de monnaie nationale qu’on peut échanger contre une unité de monnaie étrangère) pour faciliter les échanges avec les principaux partenaires commerciaux tout en assurant la stabilité des prix donc du pouvoir d’achat des citoyens.
La création d’une monnaie nationale implique la création d’un institut d’émission qui servira de banque centrale nationale. Celle-ci agira principalement comme une banque pour les banques commerciales en contrôlant les flux de monnaie et de crédits dans l’économie, de manière à assurer son premier objectif, en l’occurrence, la stabilité des prix.

Les banques commerciales pourront alors solliciter des prêts auprès de la Banque Centrale (des réserves de banque centrale), qui leur servira en grande partie à couvrir des besoins de liquidités à très court terme. Le principal instrument dont dispose la Banque Centrale pour réguler le crédit dans l’économie et pour contrôler la quantité de monnaie en circulation et, par conséquent, la demande de réserves de banque centrale émanant des banques commerciales, consiste à fixer les taux d’intérêt (le coût du crédit).

La monnaie joue un rôle très important pour ce qui concerne les objectifs de la politique économique non seulement pour préserver le pouvoir d’achat des citoyens mais aussi pour les transactions économiques d’un pays avec les autres pays. Rappelons que la solidité d’une monnaie est établie selon les normes internationales lorsque les avoirs extérieurs nets (liquidités disponibles en or et devises) de la Banque Centrale peuvent couvrir 3 mois d’importations.

La création d’une monnaie doit se faire en fonction de la quantité et de la qualité de la production de biens et services dans notre économie et de nos échanges de biens et services avec nos principaux partenaires économiques et commerciaux. Il est surtout crucial d’avoir une banque centrale autonome qui aura les fonctions suivantes : assurer la stabilité des prix ; gérer les réserves officielles de change ; veiller à la stabilité du système bancaire et financier ; promouvoir le bon fonctionnement et assurer la supervision du système financier et bancaire ; et assurer la sécurité des systèmes de paiement.

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