Dans un pays comme le Mali, régi par des normes sociales profondément ancrées, les personnalités qui sortent du cadre ne passent jamais inaperçues. Aboubacrine Assadeck faisait partie de ces figures singulières qui, par leur seule existence, questionnent l’ordre établi. À la fois brillant intellectuel et provocateur invétéré, il incarnait cette dualité déroutante : celle d’un homme inclassable, oscillant entre génie et impertinence.
Esprit exceptionnel
Pour ceux qui l’ont côtoyé, notamment au Lycée Askia Mohamed, Aboubacrine était un esprit exceptionnel, un prodige des sciences. Ses résultats académiques défiaient toute logique et lui valurent des surnoms aussi prestigieux qu’évocateurs : Einstein, Lavoisier, et bien d’autres. Mais au-delà des chiffres et des performances, c’était un penseur indépendant, habité par le refus des compromis faciles et la volonté farouche de dénoncer ce qu’il estimait être les dérives du pouvoir, quitte à en payer le prix fort.
« Bateau de commandement »
Car Aboubacrine, c’était aussi une voix qui détonnait, parfois jusqu’à l’excès. Depuis son « bateau de commandement », comme il appelait ironiquement son lit médicalisé, il livrait sans filtre ses pensées les plus tranchées sur les réseaux sociaux. Il ne craignait ni les institutions, ni les tabous, et s’attaquait de front aux autorités maliennes, quitte à employer un langage jugé outrancier, voire carrément vulgaire. Pour certains, ses sorties étaient choquantes, voire indécentes ; pour d’autres, elles étaient l’expression brute d’une colère légitime et d’un amour profond pour la vérité.
Son attitude non-conformiste, notamment sur les questions politiques et identitaires, lui valut à la fois une hostilité farouche et une admiration passionnée. Il a su inspirer toute une génération de jeunes internautes et d’intellectuels en quête de sens, même si sa manière d’exister dans l’espace public demeurait clivante.
Penseur libre
Ceux qui l’aimaient voyaient en lui un modèle de courage, un penseur libre, un homme entier, fidèle à ses idées jusqu’à l’acharnement. Ses détracteurs, eux, dénonçaient une forme d’égocentrisme verbal, une posture provocatrice qui frôlait l’irrespect. Mais qu’on l’admire ou qu’on le critique, nul ne pouvait ignorer Aboubacrine Assadeck.
Il laisse derrière lui un souvenir contrasté, mais indélébile. À la fois trublion et savant, ami fidèle et adversaire intransigeant, il a marqué son époque par son franc-parler et la radicalité de son engagement.
Et aujourd’hui, au-delà des débats qu’il a suscités, une chose rassemble tous ceux qui l’ont connu ou suivi de loin : le souhait sincère qu’il repose enfin en paix.
Manda Cissé