Dans le berceau en 2011 des révoltes démocratiques du Printemps arabe, seuls deux candidats — considérés par des analystes comme des seconds couteaux — ont été autorisés à affronter M. Saied, 66 ans, sur initialement 17 postulants, écartés par l’Isie pour des irrégularités présumées.
Le premier est un ex-député de la gauche panarabe, Zouhair Maghzaoui, 59 ans, et le deuxième, Ayachi Zammel, un industriel libéral de 47 ans, inconnu du grand public mais emprisonné dès confirmation de sa candidature début septembre.
En moins d’un mois, cet ancien député, soutenu par des forces de gauche et des personnalités de l’ancienne majorité parlementaire, a été condamné à 14 ans et deux mois de prison pour des soupçons de faux parrainages, dans trois procédures séparées. Son équipe a appelé les citoyens à « se rendre aux urnes en masse », exhortant l’Isie à « ne pas manipuler le vote des Tunisiens ».
Porteur d’un projet de gauche souverainiste similaire à M. Saied qu’il soutenait jusqu’à récemment, M. Maghzaoui a dénoncé avant le scrutin « un bilan égal à zéro » du pouvoir sortant, appelant aussi à une mobilisation des électeurs.
– Scrutin « verrouillé » –
Le président « a verrouillé le scrutin » et devrait le « remporter haut la main », estime l’expert de l’International Crisis Group, Michaël Ayari.
La sélection-même des candidats a été contestée pour le nombre élevé de parrainages exigé, l’emprisonnement de candidats potentiels connus, et l’éviction par l’Isie des rivaux les plus solides du président.
M. Saïed, élu en 2019 à près de 73% des voix (et 58% de participation), était encore populaire quand ce spécialiste de droit Constitutionnel à l’image d’incorruptible s’était emparé des pleins pouvoirs à l’été 2021, promettant l’ordre après des années d’instabilité politique.
Trois ans plus tard, beaucoup de Tunisiens lui reprochent d’avoir surtout consacré son énergie à régler ses comptes avec ses opposants, en particulier le parti islamo-conservateur Ennahdha, dominant sur la décennie de démocratie ayant suivi le renversement du dictateur Ben Ali en 2011.
Une « dérive autoritaire » du pouvoir est dénoncée depuis 2021 par les ONG tunisiennes et étrangères et l’opposition, dont les figures de proue comme le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, et à l’autre bout de l’échiquier, Abir Moussi, passionaria nostalgique de l’ère Ben Ali, sont en prison.
Tous fustigent le démantèlement des contrepouvoirs instaurés en 2011 et l’étouffement de la société civile avec l’arrestation de syndicalistes, militants, avocats et chroniqueurs politiques.
Selon Human Rights Watch, « plus de 170 personnes sont actuellement détenues pour des motifs politiques ou pour avoir exercé leurs droits fondamentaux ».
– « La traversée » –
Près de 800 militants ont défilé vendredi à Tunis, pour dénoncer « les libertés piétinées », appelant au boycott d’une élection « mascarade ».
« L’abstention s’annonce forte » car « les citoyens ne se passionnent guère pour ce scrutin », comme fin 2022, début 2023, quand le taux de participation avait atteint seulement 11% aux législatives, prévoit l’expert Ayari.
« L’effondrement de la participation est l’indice le plus solide du découragement des Tunisiens envers leurs dirigeants », souligne à l’AFP Pierre Vermeren, expert français du Maghreb.
Disant vouloir « sauver la Tunisie de traîtres » sous influence étrangère, le président Saied jouit encore « d’un soutien non négligeable dans les classes populaires », selon M. Ayari, mais il est « critiqué pour son incapacité à sortir le pays d’une profonde crise économique », marquée par un pouvoir d’achat en chute libre.
Jeudi, M. Saied a appelé à « voter massivement » car, a-t-il promis, après « une longue guerre contre les forces du complot » ayant « infiltré de nombreux services publics et perturbé des centaines de projets, la traversée va commencer » vers « la construction d’une nouvelle Tunisie ».
Avec AFP