Cinquante-neuf millions de dollars levés en deux jours en obligations vertes: l’Etat nigérian s’est félicité fin juin du « vif intérêt des investisseurs » dans son nouveau programme de levée de fonds dédié à l’environnement alors que cet outil financier reste encore sous-utilisé sur le continent africain.
Les obligations vertes fonctionnent comme toutes les obligations souveraines: des investisseurs achètent des obligations à l’Etat – en d’autres termes ils prêtent de l’argent à l’Etat- et reçoivent en échange des intérêts chaque année, appelés coupons.
La spécificité des obligations vertes est qu’elles doivent permettre de financer des projets avec un impact environnemental positif.
Avec cette nouvelle émission verte, le Nigeria veut financer des projets tournés vers les énergies renouvelables dont l’Etat espère faire passer la part dans le mix énergétique national à 60% d’ici 2050 (contre 22% en 2020), la conservation de la nature, les logements écologiques, les infrastructures urbaines résilientes et l’agriculture durable.
Pour attirer les investisseurs, le Nigeria a dû offrir un taux d’intérêt annuel à près de 19%, un taux élevé comparé à ce qui se pratique dans des pays aux économies stables comme en France où le coupon de la dernière émission verte souveraine s’élèvait à 3% (pour 5 milliards d’euros d’émissions) et à 1,9% pour la dernière émission en Chine (pour 825 millions de dollars).
L’Africa Policy Research Institute notait qu’en 2023, l’Afrique représentait moins de 1% du total des émissions d’obligations vertes dans le monde, mais que le continent a connu « une croissance significative » avec « une augmentation de 125% en 2023 ».
– « Pénurie » –
« Il y a une pénurie d’obligations vertes en Afrique », a déclaré à l’AFP Laju Atake, l’un des dirigeants de la banque d’investissement panafricaine Rand Merchant Bank.
Selon FSD Africa, une agence de développement spécialisée dans l’aide financière basée à Nairobi et financée par le gouvernement britannique, le peu d’intérêt des marchés financiers pour le continent s’explique en grande partie par l’instabilité macroéconomique.
Dépréciation monétaire et inflation élevée créent de l’incertitude pour les investisseurs potentiels. Le risque de change dissuade les investisseurs non africains qui ont besoin d’instruments de couverture extrêmement coûteux pour protéger leurs investissements.
L’instabilité politique, des lois changeantes, le manque de transparence des régulations peuvent aussi dissuader les investisseurs, tout comme la faiblesse des infrastructures locales (électricité, routes etc.) qui peut compromettre les projets.
Le Nigeria a été le premier Etat africain à émettre des obligations vertes souveraines en 2017 (30 millions de dollars), puis en 2019 (41 millions de dollars).
Au Kenya, Acorn Holdings a émis la première obligation verte d’Afrique de l’Est en 2019, levant 40,9 millions de dollars pour financer des logements étudiants présentés comme respectueux de l’environnement à Nairobi.
En Tanzanie, la CRDB Bank a lancé la première obligation verte du pays en 2023, pour lever 300 millions de dollars et financer des projets dans les énergies renouvelables, les infrastructures et l’approvisionnement en eau.
En 2024, la Côte d’Ivoire a émis une obligation verte de 1,5 milliard de dollars.
Selon Alex Oche, expert en droit de l’environnement et chercheur à l’Institut OGEES situé au Nigeria, les Etats-Unis, l’Europe et la Chine mènent largement le marché mondial des émissions vertes car « ce sont des économies à forte intensité carbone qui ont le plus contribué à la crise climatique mondiale ».
– Potentiel et greenwashing –
L’Afrique n’émet que 3,8% des gaz à effet de serre dans le monde, mais elle subit sévèrement les effets du changement climatique.
« Aujourd’hui, le continent est confronté à des défis climatiques urgents tels que les phénomènes météorologiques extrêmes, la pauvreté énergétique et l’insécurité alimentaire, mais il dispose également d’un vaste potentiel en matière d’énergies renouvelables et de ressources naturelles », explique à l’AFP le cabinet d’avocats de Lagos Udo Udoma & Belo-Osagie.
« L’avenir des émissions vertes en Afrique est prometteur », estime-t-il.
Les obligations vertes peuvent contribuer « à mobiliser les capitaux indispensables pour financer les énergies propres, les infrastructures résilientes au changement climatique et l’agriculture durable » mais « nous avons besoin de cadres réglementaires plus solides, de meilleurs projets, d’un renforcement des capacités des émetteurs et d’une confiance accrue des investisseurs », préconise-t-il.
Les obligations vertes ne sont pas sans défis. L’une des principales préoccupations est le risque de « greenwashing », qui consiste à qualifier des projets de « verts » sans qu’ils n’apportent de réels avantages pour l’environnement.
« Je pense que nous avons besoin d’une réglementation plus stricte, notamment en termes de transparence, car des inquiétudes ont été soulevées » après les émissions de 2017 et 2019 et « les promesses n’ont pas été tenues », détaille Alex Oche.
Razaq Fatai, chercheur pour le cabinet de conseil nigérian Vestance, a mené une étude de suivi de plusieurs projets financés par les précédentes émissions vertes au Nigeria.
Avec son équipe, il a conclu que plusieurs de ces projets « ressemblaient à du greenwashing ».
Pour un projet de reforestation dans l’Etat d’Oyo, il a expliqué à l’AFP que « les communautés locales n’avaient pas été impliquées » et qu' »après un ou deux ans, les arbres plantés étaient mourants car ils n’avaient pas été correctement entretenus ».
« C’est une bonne chose d’avoir des obligations pour lutter contre les problèmes environnementaux » mais les projets financés doivent « s’appuyer sur des données probantes » pour « s’assurer que le projet est justifié », préconise l’expert qui regrette le manque de « transparence » dans les projets menés par les émissions précédentes, ce qui revient à « gaspiller les deniers publics ».
Avec AFP