En Afrique, la France en quête de partenariats sans passif colonial

Le président français Emmanuel Macron à l'Elysée, le 29 octobre 2021. © Elysée.fr

Après le Ghanéen Nana Akufo-Addo mi-novembre, le Nigérian Bola Ahmed Tinubu est attendu cette semaine chez son « ami » Emmanuel Macron: une visite d’Etat inédite depuis 24 ans qui signale la volonté de Paris de diversifier ses partenariats en Afrique au-delà de son pré carré francophone.

« Nous avons une politique de porte ouverte et nous voulons que vos investisseurs en profitent », expliquait récemment M. Tinubu sans cacher les ambitions très économiques de ce voyage.

Dès son élection en 2017, le président français, partisan d’un « renouveau » entre Paris et le continent africain, avait entrepris de voyager hors de la zone d’influence traditionnelle française, au Nigeria (2018), en Ethiopie (2019) ou en Afrique du Sud (2021), tout en continuant à sillonner les anciennes colonies, notamment le Sahel, où son armée était engagée dans la lutte anti-jihadiste.

« Cette orientation n’est pas nouvelle (…) mais les crises sahéliennes ont accéléré cette dynamique » depuis que des militaires putschistes qui se sont rapprochés de la Russie ont chassé la France du Mali, du Burkina Faso et du Niger, souligne l’économiste togolais Kako Nubukpo, auteur de « L’Afrique et le reste du monde ».

Et de rappeler que « les premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique ne sont pas francophones »: en 2023, le Nigeria arrivait en tête devant l’Afrique du Sud, la Côte-d’Ivoire et l’Angola, selon la direction générale des douanes françaises.

Malgré la compétition accrue avec la Chine, l’Inde ou la Turquie, Paris dispose de « nombreux atouts » et « n’est pas freinée par le passif » colonial dans ces pays, relève Alain Antil, spécialiste de l’Afrique à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Et même si « le poids de la France dans les échanges de l’Afrique subsaharienne diminue », dit-il, sa présence « en termes de valeur absolue » reste importante.

– Milliardaires –

Démographie et urbanisation croissantes, émergence de classes moyennes: les opportunités économiques qu’offrent ces pays sont immenses avec des infrastructures (énergie, transports) encore embryonnaires et un taux d’industrialisation faible.

« Entre 2020 et 2050, il y aura entre 600 et 700 millions d’urbains supplémentaires en Afrique. C’est une révolution économique, sociale, politique », poursuit Alain Antil. « Ça transforme considérablement les sociétés africaines et les villes » qu’il faut construire et équiper.

Pays le plus peuplé (plus de 220 millions d’habitants) et l’un des premiers PIB d’Afrique, le Nigeria représente un marché particulièrement prometteur malgré les défis posés par l’insécurité et la corruption.

Outre le secteur pétrolier, où le groupe TotalEnergies est bien implanté, l’agriculture, la construction, la banque et les télécommunications se sont développés, tout comme l’industrie cinématographique et musicale.

La centaine d’entreprises françaises y emploie quelque 20.000 Nigérians et le pays représente 65% des investissements directs étrangers (IDE) français en Afrique de l’Ouest avec l’accent mis sur des secteurs comme la tech ou les industries culturelles et créatives, selon Paris.

« Il y a beaucoup plus de volonté de collaborer » notamment parce que « l’équipe française sur place (ambassade, mission économique) est très active », explique à Lagos Uwadiale Agenmonmen, directeur général de Raedial Holdings, qui a conclu fin 2023 un accord avec la Compagnie fruitière pour produire, transformer et exporter des bananes.

A l’inverse, des banques nigérianes s’installent en France: First Bank, United Bank for Africa suivies par Access Bank en 2024 et Zenith Bank prochainement.

Le France-Nigeria business council, lancé lors de la visite présidentielle en juillet 2018, joue un rôle de premier plan pour encourager les investissements.

Ses membres, dont le milliardaire Aliko Dangote, seront reçus par le président Macron cette semaine, avant de rencontrer le patronat français avec de « gros contrats » en perspective, espère une source diplomatique à Paris.

– « Changement de méthode » –

Les relations avec les Nigérians « incarnent le changement de méthode que l’on veut impulser », souligne cette source. « Ils sont courtisés par tout le monde et veulent un partenariat d’égal à égal, pas une approche +donneur de leçon+ », notamment sur les droits humains.

Prochain cap ? Renforcer les liens avec l’Afrique de l’Est, où l’implantation française est moins établie, contrairement à ses concurrents asiatiques.

La dépendance à Pékin, qui détient une grande partie de la dette de pays aux finances fragiles comme la Zambie ou le Kenya, peut les inciter à davantage diversifier leurs échanges, selon les experts interrogés par l’AFP.

Dans cette optique, le prochain sommet Afrique-France aura lieu à Nairobi en 2026, une première dans un pays non francophone.

Cette semaine, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot se rend, lui, en Ethiopie où il doit rencontrer les représentants de la commission de l’Union africaine dont le siège est à Addis Abeba.

Avec AFP

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