Désinformation : comment contrer ce mal dans le champ médiatique malien ?

Désinformation : comment contrer ce mal dans le champ médiatique malien ? DR

Le champ médiatique malien est menacé de nos jours par les réseaux sociaux dans la circulation de fausses informations. Il est difficile de faire une journée sans rencontrer ne serait-ce qu’une fausse information relayée sur la situation sociopolitique et sécuritaire du pays. Le constat demeure douloureux pour de nombreux professionnels des médias.

Les conflits dans le monde ne se font plus uniquement à l’artillerie lourde, un simple clic sur “publier”, sans une vérification au préalable d’une information peut créer l’irréparable. En cette époque digitalisée, les réseaux sociaux sont devenus un lieu redoutable pour n’importe quelle personne pour communiquer sans être informé. Les idéalistes, les passionnés, ainsi que les opportunistes les plus avérés se ruent sur ce terrain pour influencer les opinions publiques. Ce qu’illustre aujourd’hui, les nombreuses fausses nouvelles révélées par les tensions dans le  sahel, dans la plateforme Factuel Agence France presse, un site de vérification des faits, notamment sur l’actualité malienne.

Selon Abdoulaye Guindo, coordinateur de la plateforme Benbéré, qui a une section de lutte contre la désinformation, cette recrudescence des fake news au Mali, est dû spécifiquement au contexte de crise actuelle que le pays traverse.

« Depuis 2012, le Mali est confronté à une crise politico-sécuritaire. C’est l’un des pays les plus vastes de la bande sahélienne qui est aujourd’hui devenu un champ de bataille entre les puissances internationales qui veulent s’approprier son contrôle. Donc, tous ces facteurs combinés, notamment la crise politico-sécuritaire et l’influence des puissances mondiales, ont fait du pays une zone de prolifération de la désinformation. Parce que, la guerre, elle est aussi communicationnelle ». Tous les acteurs impliqués dans ce conflit sahélien, notamment, les groupes armés terroristes, les groupes armés indépendantistes, les puissances internationales, chacun pour gagner le combat n’utilisent pas forcément les armes, mais le système de désinformation.

« Voilà pourquoi, aujourd’hui, au Mali, on assiste à beaucoup de désinformation» indique Guindo.

Aliou Diallo, un vérificateur de faits de la cellule de lutte contre la désinformation de Benbéré, estime pour sa part, que les fake news ont commencé à prendre de l’ampleur au Mali, avec la démocratisation des réseaux sociaux. Il précise qu’au-delà des conflits armés, le système de désinformation ou de fausse information est utilisé au moment des grandes crises, à l’image du covid-19, la crise énergétique et alimentaire, à travers le conflit russo-ukrainien, dont les traces sont toujours visibles sur les économies africaines, notamment malienne.

« En 2020, il y a eu beaucoup de fausses informations non seulement au Mali, mais presque dans tous les pays du monde autour du Covid19. Également, cette année-là, il y a eu des séries de manifestations de contestation politique. Ce qui a engendré la circulation des rumeurs et des infox sur les réseaux sociaux » explique Diallo.

La désinformation, la fausse information

Les  réseaux sociaux sont inondés de fausses informations à longueur de journée. Des communiqués fallacieux, des images truquées, des vidéos mises hors contexte, des faux propos attribués aux leaders politiques, d’opinions, religieux, etc… Le phénomène de désinformation prend de l’ampleur au Mali, ces dernières années. Aliou Diallo affirme qu’à travers une collecte de fausse information en ligne initiée par Benbéré, pendant 3 mois, « nous avons pu collecter pas moins de 90 fausses informations publiées sur la toile malienne ». Ce qui vaut 30 fausses informations par mois et une publiée par jour. Mais, « nous sommes prudents, c’est le chiffre que nous avons pu récolter, or nous ne pouvons pas tout récolter. Il y’a sûrement certaines qui nous ont échappé « , précise-t-il.

Concernant le taux des internautes maliens affectés par ce phénomène en ligne, « il n’existe pas de chiffre exact à ce jour, mais nous savons que beaucoup de nos concitoyens sont touchés par la désinformation » explique toujours Diallo.

Ibrahim Ag Amadou, coordinateur de “Search for common ground”, une organisation internationale de lutte contre la désinformation, affirme que son équipe détecte plus de mille (1000) fausses informations mensuellement.

Boubacar Diarra, résident à Sotuba, stagiaire dans un cabinet de transit, dit avoir été maintes fois « victime des informations fallacieuses en ligne ». Il précise que la dernière fois, concernait une offre d’emploi, « je pensais que c’était vrai, j’ai commencé à même chercher des documents pour cela, alors que c’était loin de la vérité, c’est grâce à l’appui d’un ami blogueur que j’ai pu le savoir ».

Aminata Coulibaly témoigne également de son cas qui s’est passé récemment, « c’était le faux communiqué concernant le recrutement dans l’armée au mois de septembre ».

A l’image de ces nombreuses victimes de désinformation quotidienne à travers le pays, le métier d’informer se trouve dans une posture difficile aujourd’hui.  « Nous risquons de perdre le journalisme de qualité et la vérité, si les professionnels de l’information n’intensifient pas la vigilance et la rigueur dans leur travail », a martelé, Ibrahim Traoré, journaliste.

Face à l’ampleur de la prolifération rapide des fausses informations dans la bande sahélienne, Reporter sans frontière (Rsf), dans son rapport intitulé « Dans la peau d’un journaliste au sahel », publié en avril, a non seulement salué les initiatives de lutte contre la désinformation dans la zone, mais aussi invité les journalistes à s’organiser en groupe pour faire véhiculer la vraie information. En dépit des risques qui pèsent sur eux.

Les conséquences

Les fausses informations poussent vite dans les zones de grandes crises, à l’image du Sahel infesté par les groupes armés terroristes, les narcotrafiquants, les bandits armés, etc… les conséquences de ce phénomène sont extrêmes.

Selon Guindo de Benbéré, les retombées négatives des fausses informations sont énormes, il cite notamment, la provocation ou l’amplification des conflits communautaires, les crises institutionnelles, la xénophobie, la haine entre les populations…

Au Mali, aucune législation n’est encore mise en place pour sanctionner les fausses informations. Pourtant il existe une loi sur la cybercriminalité qui s’attaque plus généralement aux messages de haine, aux insultes et des menaces proférées par le biais des réseaux sociaux.

Qui peut être derrière ces fausses informations ?

Plusieurs acteurs peuvent être derrière ces insanités, pour Abdoulaye Guindo, « les web-activistes véreux » notamment. Il explique que dans le souci d’avoir « beaucoup d’abonnés sur leurs plateformes », ces web-activistes « créent de la désinformation, notamment  lorsque cette désinformation incite les internautes à s’abonner. Ces abonnés sont présentés à des annonceurs comme de potentiels consommateurs pour la publicité ». Pour lui, la seconde catégorie  de personnes qui pourrait être à la base de la désinformation, sont « les entreprises internationales, qui font de la désinformation contre les produits de la concurrence, et vice-versa afin de détruire l’image de l’autre entreprise. Enfin, il y a les acteurs politiques, quand on parle de ces acteurs, il y a différents profils, comme dans la diplomatie, la politique, l’armée. Donc tous ces acteurs, aussi peuvent être à la base de la propagation des fausses informations ».

Mésinformation\désinformation

Selon les facker-checker, il existe une différence entre “la désinformation et la mésinformation”. “si on remarque bien au Mali, il y’a beaucoup qui sont dans la mésinformation. ils s’adaptent sur des propos, qu’ils ne connaissent pas ou qu’ils ne maîtrisent pas les tenants et les aboutissants. Quand nous vérifions bien les acteurs propageant la mésinformation sont bien connus de tous, ce sont les citoyens lambdas, les hommes politiques qui essaient de manipuler l’opinion publique, même certains journalistes sont tombés dans les pièges de mésinformation et en sont devenus des acteurs zélés” indique le fact-checker Diallo.

Une personne fait de la désinformation, quand elle fabrique l’information et “qu’elle sait intentionnelement que l’information qu’elle fabrique n’est pas vraie, son unique but est de nuire” dit-t-il. Or, “celle derrière la mésinformation est une victime. C’est une personne qui a le défaut d’information par rapport au sujet qu’il évoque, ce qui pose une problématique de compréhension sur le sujet qu’il aborde. Par exemple, au moment du Covi-19, beaucoup se sont prononcés sur des vaccins sans avoir toute l’information autour de ces vaccins, donc eux, ils sont dans ce qu’on appelle de mésinformation” estime Diallo.

Pour démasquer les fausses informations en ligne, les deux associations des blogueurs (Abm et Doniblog) et BenbereVérif s’activent dynamiquement à travers des articles et vidéos pour vérifier le vrai du faux.

Pour Aliou Diallo, les internautes doivent développer l’esprit critique sur les informations reçues en ligne, “il ne faut pas qu’ils croient à tout genre d’informations comme de l’argent comptant. ils doivent apprendre à vérifier l’information profondément ainsi que la source qui est extrêmement importante”.

“Chaque fois que les internautes reçoivent de l’information, il faut qu’ils apprennent à faire une vérification sûre. Ce qui  leur permettra d’avoir d’autres sources, de comprendre qu’il y a d’autres versions de l’information. Mais dès que tu reçois une information sans vérifiée et que tu partage en même temps, tu peux être un complice de la prolifération de fausses information” estime Guindo

Mohamed Camara / Malikonews.com

 

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