Défense, énergie et séries TV : les solides ambitions de la Turquie en Afrique

Le président turque Recep Tayyip Erdoğan. © Présidence de la Turquie
La Turquie envoyait déjà ses pêcheurs dans les eaux somaliennes, elle va maintenant y rechercher du gaz et pétrole. D’Est en Ouest, le pays de Recep Tayyip Erdogan étend son emprise en Afrique et conforte ses ambitions.

Défense, grands travaux, éducation, énergie, Ankara se déploie en s’appuyant sur le savoir-faire de ses entrepreneurs, ses chaînes de télévision, ses écoles et les séries télé, quand les Occidentaux perdent du terrain dans leurs anciennes colonies.

Quelques mois après le coup d’État au Niger en juillet 2023, le président Erdogan a reçu en février le Premier ministre nigérien Ali Mahaman Lamine Zeine avant de dépêcher la semaine dernière à Niamey trois ministres –Affaires étrangères, Défense, Energie– plus le patron des Renseignements.

« La Turquie fait toujours valoir la sincérité et l’aspect humanitaire de sa présence en Afrique, comparée à celle des Européens », remarque Selin Gücüm, auteure d’une étude sur « Les Turcs en Afrique » pour l’Observatoire de la Turquie contemporaine à Paris.

Partageant souvent le terrain avec la Chine et la Russie, elle dispose de l’avantage d’avoir en commun la religion avec les nombreux pays musulmans de la région, souligne la chercheuse. Elle cite l’activisme du Diyanet, le riche et puissant Directorat turc des affaires religieuses qui multiplie les actions humanitaires et le soutien aux mosquées et à l’éducation religieuse.

En une vingtaine d’années, depuis son arrivée au pouvoir, la Turquie de M. Erdogan a pris pied d’Est en ouest et au cœur du continent: « Erdogan se présente comme une alternative à l’Occident », résume Mme Gücüm.

« La Turquie mène une vraie politique africaine depuis 1998-99, mais en arrivant au pouvoir, l’AKP (le parti de M. Erdogan –Parti de la justice et du développement– ndlr) n’a pas changé une virgule », complète Didier Billon. Ce spécialiste de la Turquie et directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) à Paris, note qu’Ankara dispose de 44 ambassades en Afrique, « quatre fois plus en vingt ans ».

– « Partenaire fiable » –

La Turquie « est considérée comme un partenaire fiable », poursuit-il « notamment dans le secteur du bâtiment et des infrastructures », hôpitaux, aéroports, mosquées : « les délais et les budgets sont tenus ».

En 20 ans, le volume des échanges commerciaux turcs avec le continent ont d’ailleurs été multipliés par huit pour atteindre 40,7 milliards de dollars (37,4 milliards d’euros) en 2023 selon le ministère du Commerce, plus « 85,5 milliards de dollars de projets » (78,5 milliards d’euros) engageant les entrepreneurs turcs.

La compagnie aérienne Turkish Airlines dessert 62 destinations africaine, y compris en Libye. Elle fut la première à revenir à Modgadiscio en 2012 avant qu’Ankara assure la réhabilitation de l’aéroport.

« Quand la Somalie était un trou noir, Erdogan était le seul à s’y rendre », souligne M. Billon.

La chaîne NTR TV –qui se présente comme « la première TV turque du continent »– se vante sur son site de servir « 49 pays africains » qu’elle abreuve notamment de séries fleuves, répandant du même coup la langue turque. La télévision publique turque TRT émet sur YouTube en français, anglais, swahili et haoussa et développe des formations pour les futurs journalistes.

Une conquête des esprits à laquelle contribue la fondation religieuse Maariv, avec un réseau de 140 écoles et institutions qui accueillent 17.000 élèves, indique Selin Gücüm, tandis que 60.000 étudiants africains étudient en Turquie.

« Quand Erdogan dénonce les +LGBT qui sapent les valeurs familiales+, il parle doux à de nombreux Africains » reprend Didier Billon, alors que les lois homophobes se développent sur le continent.

Sur ces bases solides, Ankara a développé des accords de défense: de la Somalie, en 2017 ou la Libye, en 2019, elle a gagné le Kenya, le Rwanda et l’Éthiopie à l’est, le Nigeria et le Ghana, à l’ouest, relevait en avril Teresa Nogueira Pinto, spécialiste de l’Afrique dans un rapport pour Geopolitical Intelligence Services.

– « Sans conditions » –

Ces accords, remarquait-elle, ouvrent des contrats aux industries de défense turques avec, en vitrine, les drones réputés fiables et peu chers, prisés dans la lutte anti-terroriste, récemment livrés au Tchad, Burkina Faso, Mali, Niger ainsi qu’au Togo –avec lequel la coopération se renforce depuis 2021.

« Contrairement à l’Occident, la Turquie ne conditionne pas son assistance à des questions de gouvernance ou de respect des droits humains », insistait l’experte.

La Turquie déploie par ailleurs son expertise dans le domaine énergétique avec le démarrage « en septembre-octobre » d’une mission d’exploration pour des hydrocarbures en Somalie, similaire à celle qu’elle mène au large de la Libye.

Et, malgré les démentis véhéments de ses diplomates, Ankara convoiterait l’uranium du Niger nécessaire au fonctionnement de sa future centrale nucléaire d’Akkyaku, construite par les Russes.

Une prudence peut-être imposée pour des « raisons juridiques » par Niamey, avance l’analyste indépendant Raphael Paren, joint à Londres: « Comme si le gouvernement nigérien ne voulait pas reconnaitre qu’il donne ces mines alors que les Français n’en sont pas complètement retirés ».

De fait, le groupe Orano (ex-Areva), chassé de l’important gisement d’Imouraren dans le Nord, exploite encore une mine dans la région d’Arlit.

« La Turquie se flatte de ne pas avoir de passif en Afrique » grinçait l’an dernier un diplomate occidental, fin connaisseur du pays. « La concurrence, on l’a déjà vécue avec la Chine », nuançait-il, tout en admettant un « côté désagréable ». Et il s’exprimait avant le coup d’État au Niger.

Avec AFP

 

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