Des affrontements frontaliers d’une intensité rare ont opposé jeudi la Thaïlande et le Cambodge: des avions de combat thaïlandais ont frappé des cibles militaires cambodgiennes et des tirs d’artillerie attribués au camp opposé ont fait au moins 9 morts selon Bangkok.
Les deux royaumes d’Asie du Sud-Est se déchirent de longue date sur le tracé de leur frontière commune, définie durant l’Indochine française, mais des affrontements à ce niveau de violence n’avaient pas secoué la région depuis presque quinze ans.
La Chine, qui entretient traditionnellement de bonnes relations avec les deux pays, les a exhorté à résoudre leur différend frontalier par le dialogue, se disant « profondément préoccupée », selon un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Guo Jiakun.
Des frappes cambodgiennes ont tué neuf personnes, dont un enfant de huit ans, et fait 14 blessés, a indiqué l’armée thaïlandaise, citant des frappes dans la province de Sisaket (nord-est), de Surin (nord-est), et dans celle d’Ubon Ratchathani (nord-est).
La Thaïlande a de son côté déployé six avions de combat F-16 pour frapper « deux cibles militaires cambodgiennes au sol », a déclaré le porte-parole adjoint des forces armées, Ritcha Suksuwanon. Le Cambodge n’a pas communiqué de bilan à la suite de ces frappes.
L’ambassade thaïlandaise au Cambodge à appelé ses concitoyens à quitter le pays « le plus tôt possible ».
Le Premier ministre thaïlandais par intérim, Phumtham Wechayachai, a estimé que « la situation exigeait une gestion prudente » et « d’agir conformément au droit international ». « Nous ferons de notre mieux pour protéger notre souveraineté », a-t-il déclaré.
Le ministère cambodgien des Affaires étrangères a de son côté condamné l' »agression militaire » thaïlandaise et Phnom Penh a annoncé avoir rétrogradé au « plus bas niveau » les relations diplomatiques avec son voisin.
Le Premier ministre cambodgien Hun Manet a partagé sur Facebook une lettre qu’il a adressée au président du Conseil de sécurité de l’ONU dans laquelle il dénonce les attaques « non-provoquées, préméditées et délibérées » de la Thaïlande, réclamant une réunion « d’urgence » du Conseil de sécurité.
– « Triangle d’émeraude » –
Bangkok et Phnom Penh sont engagés dans un bras-de-fer depuis la mort d’un soldat khmer fin mai, lors d’un échange de tirs nocturne dans une zone contestée surnommée le « Triangle d’émeraude ».
Mais les tensions accumulées durant des semaines de provocations et de représailles, qui ont affecté l’économie et le sort de nombreux habitants des régions concernées, ont culminé jeudi matin, après un nouvel échange de coups de feu près de vieux temples disputés, au niveau de la province thaïlandaise de Surin (nord-est) et celle cambodgienne d’Oddar Meanchey (nord-ouest).
Les deux armées se sont mutuellement accusées d’avoir fait feu en premier.
L’armée thaïlandaise a affirmé que ses adversaires avaient tiré en premier vers 08H20 (01H20 GMT) à environ 200 mètres de la base thaïlandaise, après qu’un drone avait survolé la zone contestée et que six soldats cambodgiens armés s’étaient approchés d’une clôture barbelée.
De son côté, la porte-parole du ministère cambodgien de la Défense, Maly Socheata, a accusé l’armée thaïlandaise d’avoir « violé l’intégrité territoriale du Cambodge en lançant une attaque armée sur les forces cambodgiennes ».
« Les forces armées cambodgiennes ont exercé leur droit de légitime défense, en pleine conformité avec le droit international, pour repousser l’incursion thaïlandaise », a-t-elle assuré.
Mercredi, Bangkok a rappelé son ambassadeur en place à Phnom Penh et expulsé de son territoire l’ambassadeur cambodgien, après qu’un soldat thaïlandais a perdu une jambe en marchant sur une mine à la frontière.
Une enquête de l’armée thaïlandaise a permis de déterminer que le Cambodge avait posé de nouvelles mines terrestres à la frontière, ont indiqué les autorités thaïlandaises.
Le Cambodge a rejeté ces accusations, et indiqué que des zones frontalières restent infestées de mines actives datant de « guerres du passé ».
Les tensions ont conduit le Cambodge à suspendre l’importations de certains produits thaïlandais, et la Thaïlande à restreindre les déplacements aux points de passage à la frontière.
Elles ont aussi provoqué de manière indirecte la suspension de la Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra, à la suite d’un scandale provoqué par la fuite, côté cambodgien, d’un appel téléphonique passé à Hun Sen, qui a gouverné le Cambodge pendant près de quarante ans.
L’épisode moderne le plus violent lié à la frontière remonte à des affrontements autour du temple de Preah Vihear entre 2008 et 2011, qui avaient fait au moins 28 morts et des dizaines de milliers de déplacés.
Avec AFP