Violences, humiliations, racket: depuis des années, la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) est accusée de semer la terreur sur les campus universitaires d’Abidjan. Mais après la mort récente de deux hommes, l’Etat ivoirien a décidé de sonner le glas de ce puissant syndicat.
Dans la nuit du dimanche 29 au lundi 30 septembre, Zigui Mars Aubin Déagoué, étudiant et opposant notoire du leader de la Fesci, Sié Kambou, est retrouvé mort.
L’affaire de trop pour les autorités qui précisent que M. Déagoué « a été enlevé puis molesté par des individus identifiés comme étant membres » de la Fesci.
Une enquête policière a été ouverte et dans la foulée, six membres du syndicat, dont Sié Kambou, sont interpellés, placés sous mandat de dépôt et poursuivis pour « faits d’association de malfaiteurs, d’assassinat », a annoncé le parquet.
Ils le sont également pour « complicité d’assassinat et de coups mortels sur la personne de Khalifa Diomandé », un autre étudiant membre de ce syndicat, décédé fin août.
En outre, les activités de tous les syndicats étudiants ont été interdites temporairement.
En Côte d’Ivoire, beaucoup espèrent que c’est la fin de l’impunité pour la Fesci, qui « règne en maître absolu » sur les campus depuis des années, selon Wonbégué Silué, secrétaire général de l’Association générale des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Ageeci).
Pendant la tenue de réunions, « ses membres vont venir pour vous arracher le micro ou vous torturer », s’indigne-t-il. Aux toilettes, « ils vous demandent de payer 100 francs CFA (15 centimes d’euros) pour uriner », ajoute-t-il.
– Torture –
Dans un sous-sol délabré de l’université de Cocody, un quartier d’Abidjan, un employé chargé de la sécurité dit avoir plusieurs fois mis fin ici, entre débris et murs tagués, à de nombreuses scènes de torture: il les impute toutes à la Fesci.
Un après-midi, il y a quelques années, « les cris étaient atroces », se souvient-il, évoquant des « images insoutenables » de victimes prises en otage, nues, avec « des marques de brûlures, des plaies sur les fesses » et se faisaient « taillader ».
Souvent, ces affaires n’ont pas de suite, dit-il, sous couvert d’anonymat par crainte de représailles. Quand il appelle la police, « les gens ne témoignent pas parce qu’ils ont peur ».
Une étudiante dénonce de son côté des viols récurrents et affirme qu’un membre de la Fesci peut choisir une femme de force, afin d’en faire sa petite amie.
Contactés par l’AFP, plusieurs responsables de la fédération n’ont pas souhaité répondre aux allégations de violence.
Créée dans les années 90, la Fesci est d’abord un mouvement de revendication contre le parti unique alors au pouvoir, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA).
Ses leaders d’alors s’appellent Guillaume Soro, futur Premier ministre, ou Charles Blé Goudé, qui deviendra le bras droit de l’ex-président Laurent Gbagbo.
– « Extrêmement puissante » –
Au fil des années et après avoir obtenu des acquis sociaux, elle s’impose comme « l’interlocuteur privilégié de l’Etat auprès des étudiants », explique le politologue Geoffroy Kouao.
« On ne peut pas mener une politique éducative en Côte d’Ivoire sans la Fesci », assure-t-il, elle est « extrêmement puissante » et a « impacté » le vote de certaines élections, dans un pays où 75% de la population a moins de 35 ans.
L’organisation dit compter parmi ses adhérents un tiers des quelque 300.000 étudiants de Côte d’Ivoire.
Au-delà des violences, la Fesci organise aussi en coupe réglée – et illégale – l’attribution de chambres universitaires, qu’elle loue à des prix aléatoires à des étudiants.
L’organisme officiellement en charge, le Centre régional des oeuvres universitaires (Crou), n’a plus attribué de chambres depuis plusieurs années, selon de nombreux étudiants interrogés qui le jugent « inefficace », « corrompu » et dépassé par la surpopulation étudiante.
Début octobre, les autorités ont lancé une vaste opération d’expulsion de résidents illégaux, avec la promesse d’une nouvelle vague d’attribution des chambres.
Franck (le prénom a été modifié), étudiant en criminologie, fait partie de ceux qui ont dû se tourner vers la Fesci pour être logés, faute de réponse du Crou.
« Ils m’ont demandé de payer un loyer de 10.000 francs CFA (15 euros) chaque mois et une caution de 200.000 francs CFA (304 euros) », cinq fois plus élevée que le montant demandé par le Crou.
Contactée, la direction de l’organisme n’a pas souhaité répondre à l’AFP.
« Si demain, la majorité des étudiants est logée, avec des bourses, qu’il n’y a plus d’effectifs pléthoriques dans les amphithéâtres, si nous avons assez d’enseignants, il est évident que la Fesci n’aura plus d’objets de revendication et elle mourra de sa belle mort », prédit Geffroy Kouao.
Avec AFP