Cher Marwane Ben Yahmed,
Je vous écris en réponse à l’article publié le 23 décembre 2023 dans votre journal intitulé » Neosouverainisme africain : la grande illusion, par Marwane Ben Yahmed « .
En tant que lecteur assidu depuis plusieurs décennies et panafricaniste convaincu , je souhaite exprimer mon profond désaccord avec vos arguments avancés dans cet article, qui semblent minimiser la gravité des causes qui entraînent les coups d’État au Sahel et justifier leur répétition.
Dire qu’un coup d’État peut être légitime peut valoir a son auteur un jugement sévère
Je m’appesantirais sur le cas du Mali, mon pays, car ne disposant pas de suffisamment d’éléments d’appréciation sur les autres coups d’État. Il n’est point discutable que conformément aux conventions internationales, un coup d’État est une entrave à la démocratie et à l’état de droit. Il contrarie incontestablement les principes fondamentaux de la gouvernance démocratique tels que l’élection libre et équitable, le respect des droits de l’homme et la séparation des pouvoirs. Par conséquent, dire qu’un coup d’État peut être légitime peut valoir a son auteur un jugement sévère, notamment celui d’ignorer les principes de la démocratie.
Le coup d’État du Mali se justifie
Le coup d’État du Mali se justifie, M. Ben Yahmed. Il se justifie parce que le Mali démocratique s’est trouvé dans une instabilité politique inouïe qui a entraîné une paralysie totale du pays.
Vous soutenez qu’un coup d’État entraîne généralement des bouleversements politiques, des violations des droits de l’homme et des périodes de transition incertaines. Dans le cas du Mali c’est plutôt un régime démocratique qui a entraîné toutes ces dérives. Népotisme, corruption, insécurité ont fini par saper la confiance du peuple envers le président qu’il avait pourtant plébiscité sept ans auparavant.
Le président IBK a créé les conditions de son renversement
Malade, incapable de garder le gouvernail du bateau Mali, qu’il avait volontairement abandonné entre les mains d’une famille kleptocratique et entourée d’opportunistes de tout acabit, le président IBK a créé les conditions de son renversement.
Face à une opposition radicalement opposé à son maintien, le président, sans gouvernement, a été contraint de mettre en place une équipe de six membres en attendant une accalmie. Acculé, sentant la fin de son régime proche le président, IBK n’a eu d’autre choix que faire appel à l’armée pour rétablir l’ordre. Celle-ci a refusé de tirer sur le peuple et s’est retournée contre lui, son gouvernement et les autres institutions de la République.
Le coup d’État du Mali n’est pas particulier dans le monde
Monsieur Ben Yamed, le coup d’État du Mali n’est pas particulier dans le monde. Plusieurs révolutions ont fait partir des chefs d’État démocratiquement élu sans mériter de tels articles de votre part. Ben Ali, en Tunisie ; Ceausescu, en Roumanie ; Morsi, en Égypte ; Gaafar Nimeiry, au Soudan, pour ne citer que ceux-là.
M. Ben Yamed, les peuples africains doivent-ils accepter de piètres dirigeants au motif qu’ils ont été élu alors qu’aucun mécanisme institutionnel ne permet de les déposer ?
Jeune Afrique est un patrimoine africain qu’il faut préserver coûte que coûte car ce journal est le porte-voix de tout un continent. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit ce texte pour vous inviter M. Ben Yamed , vous le journaliste hors pair, à revoir votre analyse sur la répétition des coups d’État en Afrique.
Certains pays qui ont connu des épisodes de coups d’État ont pourtant été des modèles de démocratie : le Ghana de Rawlings, le Nigeria d’Obasanjo, le Mali d’ATT.
L’existence du Mali, la restauration de sa stabilité précèdent la démocratie
Monsieur Ben Yamed, l’existence du Mali, la restauration de sa stabilité précèdent la démocratie. C’est la raison pour laquelle le peuple malien est vent debout derrière les autorités de la transition pour créer les conditions d’une bonne démocratie. Dire au peuple malien aujourd’hui que le coup d’État contre IBK n’était pas salutaire, c’est pédaler à côté du vélo.
Il est normal de soutenir les principes visant à promouvoir la démocratie et à condamner les coups d’État. Un organe de presse de la dimension de Jeune Afrique doit en revanche se pencher sur les causes qui favorisent ces coups d’État et inciter à la mise en place de mécanismes pour les prévenir. La communauté africaine à travers ses institutions doit prendre des initiatives pour démettre les mauvais dirigeants et promouvoir des solutions pacifiques et politiques aux conflits potentiels.
En conclusion, votre condamnation des coups d’État est discutable. Vous pouvez défendre la stabilité démocratique, le respect de l’État de droit et la primauté de la volonté populaire mais vous devez impérativement dénoncer certaines dérives de chefs d’État qui les occasionnent.
Je vous remercie de prendre en compte mon point de vue opposé au votre ce sujet crucial d’actualité.
Respectueusement,
Amadou Diouf
Ontario – Canada