Mali : mendicité, entre pratique ancestrale et exploitation des enfants

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Le phénomène de la mendicité prend une ampleur dangereuse et inquiétante au Mali. Ces jeunes mendiants âgés d’entre 5 ans et 15 ans et plus, envahissent quotidiennement toutes les grandes artères et trottoirs de la capitale malienne, Bamako, portant en bandoulière leurs sébiles. Ils se faufilent dangereusement entre les véhicules pour tendre la main pour quémander. Alors que cette pratique ancestrale commence à indisposer la population, sans compter les dangers de la voie publique.

Tous les coins et recoins de la ville de Bamako sont envahis par ces nuées de talibés. Ces mômes armés de leurs sébiles  harcèlent les passants en tendant la main. Une loi malienne définit la mendicité, comme une activité exercée à titre exclusif ou principal et qui consiste à faire appel à la charité du public en vue de se procurer ou non des moyens de subsistance.

L’une des causes essentielles de la mendicité est liée à la pauvreté grandissante, certains hommes et femmes désespérés et laissés à leur sort, s’adonnent à la mendicité pour survivre et traînent aussi, assez souvent, leurs enfants avec eux. « Je suis ici depuis 6H du matin avec les enfants pour avoir de quoi survivre. Leur père est au village, c’est un cultivateur, son rendement ne lui permet pas de prendre les charges du ménage. Par conséquent nous n’avons plus rien pour tenir jusqu’à la récolte prochaine. Nous demandons à nos dirigeants de penser à nous », plaide une mère de jumeau, rencontrée au niveau du rond-point du 3 ème arrondissement de Quinzambougou.

Au-delà des lieux de cultes, les personnes qui tendent la main pour des pièces d’argent se multiplient devant les pharmacies, les hôpitaux, entre les véhicules….

Une pratique culturelle        

Historiquement, la mendicité remonte au Mali au début du 19ème siècle dans l’Empire peul du Macina. Les enfants fréquentant l’enseignement coranique, les talibés, devaient aller de porte à porte pour quémander leur nourriture. La mendicité rentrait dans le cadre de la formation et avait pour but « de former les enfants à un certain ascétisme et à la vie dure », selon Mamadou Diarra, marabout dans la ville de Bamako. Mais aujourd’hui, les talibés sont souvent des enfants exploités par des maîtres des écoles coraniques qui obligent leurs élèves à aller mendier pour son propre compte. Ils ont souvent une somme minimum à ramener et subissent violences et brimades, dans les cas ou les objectifs du jour ne sont pas atteints, rapportent certains connaisseurs de ce milieu.

Les enfants des rues au Mali sont majoritairement des garçons (94 %) âgés de 5 à 14 ans, parfois plus jeunes accompagnés de leurs frères aînés. Ils sont issus de familles nombreuses, pour la plupart d’origine rurale ayant migré vers la ville, et un tiers d’entre eux sont orphelins. Ils dorment dans les édifices publics, dans le marché ou sous les ponts et vivent généralement en groupe. (Selon une étude de Human rights watch)

Mamadou est venu à Bamako quand il avait environ 8 ans. Originaire de Bougouni, au sud du pays. Non scolarisé, il lui est difficile de se rappeler de son âge exact. On le situerait dans la tranche d’âge de 15 – 17 ans. La mendicité est sa seule et unique occupation. Quotidiennement, il fait du porte-à-porte pour chercher à manger. « Depuis que j’ai quitté mes parents, je n’y suis pas encore retourné. Je vis avec mon maître parmi une centaine d’autres talibés, à Moribabougou », raconte le jeune mendiant.

Concernant son envie d’exercer un autre métier différent de la mendicité, il répond qu’il souhaite exercer un autre métier. « Mais il faut que mon maître accepte. J’ai déjà terminé d’apprendre le coran depuis une année. Je mendie pour vivre et avoir de quoi manger », précise-t-il.

Naguère, certains considéraient la mendicité comme un système d’éducation, permettant aux enfants de découvrir la dureté de la vie, leur inculquant l’instinct de survie. Elle avait été instituée pour inculquer une certaine endurance, l’humilité, la modestie, chez les enfants. En un mot, elle était utilisée pour amener l’enfant à adopter des principes de bonne conduite dans la société. D’autres y voyaient une dimension traditionnelle et religieuse, ancrée dans la société. Mais, aujourd’hui, la réalité est toute autre. « Ces enfants encadrés par les marabouts ne retiennent rien d’autre que la délinquance et le banditisme dans les rues de Bamako… », déplore Amadou Barry, un citoyen malien.

« Des dangers dans la circulation »

Un usager de la circulation nous relate un fait dont, il a été témoin, « j’étais dans ma voiture au niveau du rond-point du grand hôtel, un jeune talibé est venu tendre sa main à un monsieur dans son véhicule qui lui a lancé une pièce de monnaie. Cette pièce est tombée sous un véhicule dans une circulation dense, le jeune homme a essayé de récupérer la pièce. Vous vous rendez compte des dangers auxquels ces jeunes gens sont exposés quotidiennement sur nos grandes artères ?».

« Et ces mamans qui poussent leurs enfants vers les gens en pleine circulation pour juste avoir quelques pièces, aux feux tricolores, cela peut souvent virer à la tragédie » ronchonne un autre usager de la route.

Le Mali est confronté à plus de 10 ans de crise sécuritaire, avec des menaces récurrentes contre la quiétude des populations. Cette pratique de la mendicité des enfants talibés n’est pourtant pas sans impacts sur la situation sécuritaire du pays. « On ne sait pas d’où ces jeunes désœuvrés viennent. Ils sont tous des délinquants qui peuvent servir de bouc émissaire aux terroristes », marmonne un commerçant au marché “Rail-dâ” de Bamako. Si ces jeunes habillés dans des habits disparates et sales suscitent de la pitié aux yeux de certains, d’autres ne les apprécient guère, « Je n’ai pas pitié de ces jeunes. Ce sont des bandits qui nous volent, braquent et même souvent qui deviennent des drogués… », fustige un habitant de Bagadadji. 

 Une Interdiction

 La mendicité forcée, les sévices corporels et les conditions de vie quotidienne dangereuses que subissent ces talibés violent le droit national et international, souligne HRW. La mendicité est officiellement interdite au Mali par la loi Nº 01-079 du 20 août 2001 portant code pénal, dans ses articles 184 et 193 qui punissent la pratique de 15 jours à 6 mois d’emprisonnement. Cela même s’il s’agit de personnes invalides. La peine va encore loin si la personne entraînée est un mineur. Le coupable est puni de 3 à un an de prison. Nonobstant toutes ces dispositions pénales, le phénomène prend de l’ampleur dans les grandes villes du pays.  

Mohamed Camara / Malikonews.com

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