Presque partout à Bamako, de géants hangars des teinturiers jonchent les larges rues souillées par les produits chimiques provenant de la teinture et autres matières utilisées pour donner des couleurs éclatantes à ces tas de bazins. Les lavandiers sont autant sollicités dans les quartiers, derrière leurs pousse-pousse, ils accumulent les linges sales pour se rendre au fleuve. Alors que les écologistes maintiennent un lobbying contre les géants de l’énergie fossile, ces petites mains laissent des traces ineffaçables sur l’environnement local et des cours d’eau, notamment.
Cette rive du fleuve Niger à Moribabougou, est complètement polluée. Elle est remplie par des sachets de toutes sortes, de tas d’ordures, en plus des eaux usées de cette teinturiere, dont le lieu de travail est la grande cour d’en face. Selon les habitants du quartier, elle y travaille depuis bientôt 10 ans. Les véhicules se rangent par dizaine quotidiennement devant la cour, « sa clientèle ne faiblit jamais, c’est pareil comme ça chaque jour de l’année sauf pendant l’hivernage. Pendant cette période de forte pluie où le débit du fleuve monte, elle prend souvent congé ou selon certains », nous informe un vieil habitant du quartier sous l’anonymat. Cet interlocuteur dit employer tous les moyens nécessaires pour obliger « la dame à dégager ce lieu, mais je n’ai pas pu. Son travail impacte douloureusement le sol, notre environnement en général, ainsi que le fleuve en face qui est complètement rempli de toutes les saletés aujourd’hui. Même nos animaux ne peuvent plus venir s’abreuver ici ni paître les herbes aux alentours. Nous avons tout essayé pour la faire partir mais elle est plus forte que nous ».
La teinture artisanale est une activité lucrative pratiquée au Mali. Elle occupe une place prépondérante dans la stabilité des ménages. Cependant, cette activité artisanale n’est pas sans conséquence sur l’environnement de par les produits chimiques que ces artisans utilisent dans la teinture. Ces produits chimiques qui nuisent à l’environnement surtout aquatiques et végétales sont déversés dans les caniveaux sous forme de déchets liquides et affluent dans le fleuve Niger. Ce qui prouve à suffisance que cette activité artisanale est aussi une très grave menace sur la survie des espèces aquatiques et végétales. Mais la pratique perdure, surtout face à l’accroissement du marché de la mode. L’industrie de la mode génère 20% des eaux usées et 10% des émissions de carbone mondiales, selon le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Au Mali, la gestion des produits chimiques utilisés pour la teinture artisanale inquiète les habitants de la capitale. Selon les responsables du PNUE, la teinture des textiles est le deuxième facteur de la pollution de l’eau dans le monde.
Le métier de lavandière
Chaque jour, il est possible de les apercevoir dans les larges rues cahoteuses de la capitale, tenant la manche de leur pousse-pousse contenant les habits sales. Ces lavandiers ambulants font le tour des familles dans chacune desquelles ils ont presque des clients. Cette activité les permettant de gagner leur vie.
Abdou Sow, un homme filiforme, charge sa petite charrette des linges sales, dans les familles alentour, chaque matin à partir de 7 h. Ensuite, il se dirige vers la berge du fleuve de Moribabougou. Il évolue dans ce métier depuis 2007 ou 2008. « Je ne me rappelle pas exactement. J’ai quitté le village pour directement entreprendre ce boulot que j’ai appris de mon cousin », a-t-il expliqué.
Le métier de lavandier ambulant semble très prometteur aux dires des acteurs. « Je peux dire Dieu merci aujourd’hui. Grâce à ce métier, j’ai pu faire beaucoup de réalisations pour moi-même sans avoir besoin de mendier ou de voler », raconte Abdou, qui emploie actuellement une dizaine de jeunes, venant tous de son village. Ces jeunes sont surtout ses frères et cousins.
« Les prix sont aléatoires. Les habits simples (chemises, t-shirts, robes, etc.) sont lavés à 150 f l’unité et les draps simples à 250 f. Les draps plus larges, généralement difficiles à laver, sont à 500 f », précise Abdou, qui dit gagner « 5000 f à 15 000 f » par jour dans ce travail, s’il a des marchés chaque jour, ce qui n’est pas le cas. Ce qui ferait approximativement entre 150 000 FCFA et 450 000 FCFA par mois, soit plus que le salaire de certains fonctionnaires maliens. Les difficultés économiques du pays dues aux diverses crises n’ont épargné aucun secteur. Elles ont eu aussi des répercussions sur le métier de lavandier. Le prix du savon et d’autres produits de lessive ont pris de l’ascenseur. Une situation qui a conduit Belco, jeune lavandier, à augmenter ses frais de lessive.. « J’ai fait des rajouts sur les prix qui vont de 250 à 1000 f. Je peux gagner jusqu’à 5000 f par jour ou jusqu’à 15 000 f, surtout pendant la période de forte chaleur », se réjouit-il.
Si la cherté de la vie a entraîné des augmentations de prix chez certains, d’autres par contre n’ont apporté aucun changement. « Nonobstant la cherté de la vie et la hausse des prix, nous n’avons pas voulu augmenter nos prix. Car nos clients sont comme nos familles. Nous travaillons avec eux depuis des années. Malgré des difficultés, nos prix n’ont pas changé : 150 f à 500 f », explique Moctar Sow, un jeune lavandier travaillant avec Abdou.
Le savon et sa décomposition chimique
Malgré son apport économique pour les lavandiers, il convient de noter que ce métier est décrié par les spécialistes de l’environnement comme comportant des dangers imminents pour les cours d’eau maliens. Thierno Mohamed Baldé, président de l’Association « Sauvons le Fleuve », fustige les conséquences néfastes des produits utilisés, « pour qui connaît la composition du savon, sa décomposition libérée des éléments chimiques, notamment l’acide et d’autres éléments chimiques entrant dans sa fabrication impactent la vie des êtres vivants dans le fleuve ».
D’après plusieurs protecteurs de l’environnement, cette activité doit disparaître des sociétés modernes.
Mohamed Camara / Malikonews.com