Franklin Nyamsi, le professeur agrégé de philosophie, docteur de l’Université de Lille 3 en France, le militant panafricain est à Bamako depuis plus d’une semaine avec sa famille « pour passer d’excellents moments de vacances ». Cet amoureux du Mali « de sa culture et de ses peuples » est devenu aujourd’hui le porte-voix médiatique des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) sur la scène politique régionale voire internationale. Dans cette interview, l’activiste camerounais partage ses opinions sur les dernières actualités politiques au Mali et dans la Confédération. Malikonews s’est entretenu avec lui.
Maliko news : quel est le sens de votre visite à Bamako ?
Franklin Nyamsi : Bamako, c’est la terre africaine. Je suis un Africain. Je me bats pour faire prendre conscience à toutes les Africaines et tous les Africains de l’avantage que nous avons d’avoir une très grande civilisation, qui va littéralement du Sahara jusqu’aux mers glacées d’Afrique du sud. Nous avons l’opportunité extraordinaire de vivre ensemble et de bâtir des puissances qui vont nous faire respecter sur tous les continents. Depuis bientôt quinze ans, le Mali est une terre dans laquelle je suis revenu plusieurs fois, comme enseignant, comme compagnon de lutte et également comme amoureux de la culture, de la poésie et de la nature. Avec ma famille, nous passons d’excellentes vacances depuis plus d’une semaine.
Pensez-vous que l’Alliance des États du Sahel (AES) peut se substituer à la CEDEAO ?
La vocation des États de l’AES n’est pas de se substituer à la CEDEAO. Mais c’est de réaliser ce que la CEDEAO est incapable de réaliser. Se substituer à un échec, c’est bien souvent reproduire cet échec. L’AES est partie de la doctrine de la trilogie fondamentale qui gouverne aujourd’hui le Mali-kura (Nouveau Mali) du président Assimi Goita et de ses compagnons. C’est la même doctrine qui gouverne le Burkina Faso et qui gouverne le Niger.
C’est quoi alors, cette doctrine ?
L’Afrique aux Africains, le principe de souveraineté, ensuite la liberté de choix des partenaires géopolitiques et géostratégiques et troisièmement la défense primordiale des intérêts vitaux des peuples africains. Donc, cette philosophie fondamentale et panafricaniste de l’AES est en rupture avec la philosophie ronronnante, la philosophie floue, confuse, néocolonialiste et impérialiste qui préside à la CEDEAO, qui, au fil des ans, s’est transformée en une boîte d’enregistrement des ordres des néocolonialistes français et des impérialistes occidentaux. L’AES ne remplace pas la CEDEAO, l’AES réalise les aspirations les plus profondes des peuples ouest-africains, ce que la CEDEAO ne sait pas faire.
L’actualité est aujourd’hui dominée par la rupture des relations diplomatiques entre le Mali et l’Ukraine. Quelle est votre analyse ?
Je voudrais d’abord m’incliner sur les mémoires des braves soldats de l’armée malienne et de leurs alliés russes, tombés à Tinzaouatène pour défendre la patrie malienne. Je voudrais rappeler qu’ils ne sont pas seulement tombés pour défendre le Mali, car le Mali, le Burkina et le Niger constituent la forteresse de défense de toute l’Afrique noire. Ils sont morts pour que l’Afrique soit souveraine. Ils sont morts pour que l’Afrique noire soit capable de choisir son destin. Ils sont morts pour défendre l’or, le pétrole, le gaz, l’uranium, le diamant, le cobalt, ils sont morts pour défendre les ressources des générations africaines actuelles et futures.
Je voudrais attirer les attentions, je répète que ceux qui ont tué les soldats maliens à Tinzaouatène l’ont fait dans le cadre d’une coalition. Cette coalition rassemblait bizarrement des organisations terroristes qu’on disait opposées. Al Qaïda et l’État-Islamique se sont associés pour tuer les soldats maliens avec leurs alliés russes. Je tiens encore à vous faire remarquer que cette coalition n’a pas attaqué à Tinzaouatène sans avoir une base aérienne suffisante en Algérie. Donc, c’est avec la complicité passive des autorités actuelles de l’État algérien que cette attaque a été possible. Je tiens également à vous faire remarquer que Al Qaïda et l’État-islamique sont deux organisations terroristes qui ont été créées par les renseignements généraux occidentaux dans les années 80 pour Al Qaida et dans les années 2000 pour l’État-islamique. Nous avons des sources scientifiques incontestables, l’une des sources les plus incontestables. Rappelons que l’État-islamique a été créé par l’administration Obama.
Mais cela a-t-il un lien avec l’implication de Kiev dans l’attaque de Tinzaouatène ?
Mais, écoutez, je suis en train de vous décrire la coalition. Donc la coalition dont nous avons à faire est Al qaïda plus État-islamique, plus la complicité passive de l’État algérien, mais ce n’est pas fini. Ces deux organisations terroristes sont créées par les renseignements généraux occidentaux, c’est-à-dire que c’est l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique nord), qui dit l’OTAN, dit naturellement l’instrument à travers lequel, l’OTAN est en train de faire la guerre à la Russie, et cet instrument c’est l’Ukraine. Donc en fait, nous avons une coalition qui est chapeautée par l’OTAN. La même OTAN qui a tué Kadhafi, qui a saccagé la Libye en association avec Al Qaïda et l’État-islamique, ce sont eux qui attaquent le Mali. De telle façon que tous les Africains conscients doivent savoir que l’attaque de Tinzaouatène est une déclaration de guerre de l’OTAN contre le peuple africain.
La structure que je vous décris, au sommet, il y a ceux qui ont détruit la Libye et assassiné Kadhafi, c’est l’OTAN, ceux qui ont créé Al Qaïda et État-islamique, c’est l’OTAN, l’Ukraine n’est qu’un cheval de Troie, utilisée par l’OTAN pour combattre la Russie, tout le monde le sait. C’est cette association-là, ce conglomérat de puissances qui a décidé de briser la forteresse de l’Afrique noire que représente désormais l’AES.
Dans une récente sortie virale, vous avez fustigé le président sénégalais, Diomaye Faye. Qu’est-ce que vous lui reprochez ?
Je lui reproche trois choses, à lui comme à son Premier ministre, Ousmane Sonko. D’abord, ils ont trompé les panafricanistes que ce soit ceux du Sénégal et ceux du continent, en disant qu’ils allaient mener une politique de rupture, c’est-à-dire retrait de base militaire néocolonialiste française, sortie du franc CFA, valorisation de la civilisation négro-africaine comme sources des institutions et solidarité panafricaine. Deuxième chose, ils ont fait des promesses précises qu’ils n’ont pas tenu, quand ils étaient dans l’opposition au Sénégal, ils ont dit que s’ils prennent le pouvoir à Dakar, l’armée sénégalaise va venir participer au côté de celle du Mali dans la lutte antiterroriste, ils ne l’ont pas fait. La troisième chose que je leur reproche, c’est leur complicité passive avec les criminels néonazis ukrainiens qui ont assassiné nos soldats au Mali. L’ambassadeur d’Ukraine au Sénégal a ouvertement revendiqué la participation de son pays à l’assassinat des soldats maliens.
Mais, les propos de l’ambassadeur ukrainien ont été condamnés par les autorités sénégalaises, en même temps la diplomatie du pays a déclenché certaines actions diplomatiques ?
Vous pensiez que si on assassinait des soldats sénégalais à partir du sol malien, que les autorités maliennes actuelles, se contenteraient de faire des remarques verbales à l’ambassadeur du pays qui revendique l’assassinat des soldats sénégalais. Moi, je connais le président Goita et tous ses compagnons, si qui que ce soit, utiliserait le Mali pour attaquer le Sénégal, le Mali va condamner la personne et rompre ses relations diplomatiques avec une telle puissance.
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de ne pas focaliser votre lutte politique sur votre propre pays, le Cameroun ?
Je leur dis de faire un effort de culture générale et politique. Je suis auteur de quatre ouvrages sur la politique camerounaise. Les Africains de plus en plus ont tendance à ne pas lire, à ne pas balayer l’arbre. Moi, j’ai écrit maintenant environ 32 livres dont 4 sur le Cameroun, ces livres retracent les dérives dictatoriales du régime Biya au Cameroun. La plupart des gens qui parlent de moi ne me connaissent pas, ça c’est le premier point. Deuxièmement, moi, j’ai 52 ans aujourd’hui, depuis mes 18 ans, c’est-à-dire, 1990, je suis les jeunes camerounais engagés contre la dictature. J’ai fait une partie de mes études supérieures au Cameroun pendant trois ans (1990-1993) Licence de philo, et après nous tous fûmes exclus de toutes les universités camerounaises par la dictature de Paul Biya. J’ai été contraint à l’exil, hors de mon pays, où je n’ai pu revenir que trois fois depuis 1995, en raison de mes opinions politiques. Les Camerounais, eux, ils me connaissent, je possède un site où vous trouverez une centaine de conférences sur le Cameroun. Les Maliens ne regardent que les conférences que je fais sur le Mali, et les Sénégalais ne regardent que celles sur leur pays, pourtant je n’ai pas encore écrit un livre sur le Mali ni sur le Sénégal… Attention, il faut équilibrer et se rendre compte qu’ici au Mali, il y a quelque chose de très important qui se passe pour notre continent.
Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous êtes l’idéologue d’un panafricanisme frelaté ou illusoire ?
Je dis que ceux-là, ne savent même pas ce que signifie le panafricanisme, ils ne savent pas ce que veut dire frelaté et illusoire. Il faut critiquer sur la base d’un argument, il ne faut pas critiquer sur la base d’un sobriquet. Moi, je me bats pour quatre causes, retrait total des bases militaires néocolonialistes et impérialistes sur le sol africain, abolition de la monnaie colonialiste du FCFA, liberté souveraine de choix des dirigeants africains par le peuple africain, et enracinement des institutions africaines dans la tradition africaine. Celui qui est contre ça, c’est lui qui est frelaté, qui est complètement abscons, que dis-je c’est celui-là qui est même fanfreluches…
Vous croyez donc fermement au panafricanisme ?
Je ne crois pas au panafricanisme, je crois aux valeurs fondamentales de la civilisation négro-africaine, le panafricanisme n’est qu’une émanation de ces valeurs-là. Je les nomme trois valeurs qui font notre civilisation: nous recherchons sans cesse la vérité, même si personne ne peut la posséder entre nous, nous recherchons sans cesse la pratique de la justice, parce que c’est la condition de la vie, et enfin la troisième valeur qui est importante pour les Africains, c’est la solidarité. Ces valeurs-là, il vaut la peine de se battre pour elles…
Propos recueillis par Mohamed Camara/Malikonews.com