Entretien exclusif avec le professeur Franklin Nyamsi : “l’AES est en train d’occuper le vide massif laissé par la CEDEAO’’

Franklin Nyamsi
Entretien exclusif avec le professeur Franklin Nyamsi. Crédit photo Facebook F. Nyamsi

Le président de l’institut de l’Afrique des libertés, le professeur Franklin Nyamsi s’est exprimé sur l’actualité au Mali et dans les pays de l’Alliance des Etats du Sahel. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, le camerounais estime que de l’AES est l’embryon de la grande puissance africaine. Il dénonce “l’ambiguïté’’ de l’Algérie et la “position’’ de l’imam Mahmoud Dicko. Pour lui, la CEDEAO est morte de sa belle mort. Franklin Nyamsi répond également à ceux qui pensent qu’il est à la solde de la Russie; revient aussi sur sa position vis-à-vis du régime de Paul Biya. C’était lors de son passage à Bamako ce week-end.

Maliko News : Quel est le sens de votre visite à Bamako ?

Franklin Nyamsi : Nous sommes venus soutenir l’action d’émancipation du président Assimi Goïta au nom de l’Institut de l’Afrique des libertés, un groupe d’experts scientifiques africains dont l’objectif est de produire des recherches à partir de la connaissance scientifique africaine. Nous sommes venus apporter notre soutien aux Etats du Sahel qui sont en lutte pour la reconquête de “notre” souveraineté politique, économique, culturelle et même spirituelle. Nous sommes venus pour mettre fin au terrorisme scientifique utilisé par les puissances impérialistes, néocolonialistes et leurs valets locaux. Ce terrorisme consiste à utiliser des instituts de pseudo savants, de pseudo experts logés ça et là à travers l’occident et l’orient pour pondre des études, des cherches ayant pour but de légitimer les sanctions illégitimes, illégales, inhumaines, criminelles et cruelles infligées au peuple africain. 

Quel est justement votre point de vue sur la création de l’AES ?  

La création de l’AES est le fondement d’une grande espérance. Elle permet la mutualisation des moyens sécuritaires. Trois armées sont en train de devenir une seule. Les terroristes n’ont plus de zones de repli. Ils sont pris en tenaille. L’armée malienne a droit de poursuivre les terroristes dans le territoire de l’AES et vise versa. Ils sont pris dans une stratégie d’encerclement et d’étouffement. On le voit dans les comptes rendus et des neutralisations de masse qui se poursuivent.

L’AES, c’est la grande réserve d’or d’Afrique. Ils ont les moyens de se doter d’une monnaie commune qui leur permettra de négocier leurs affaires avec le monde sans passer la banque de France, sans passer par l’euro ni le dollar. L’Alliance des Etats du Sahel, c’est l’embryon de la grande puissance africaine. Ici le rêve africain redevient une réalité.

Pensez-vous que l’AES peut se substituer à la CEDEAO pour les trois pays ?

La CEDEAO n’existe plus. Elle n’existe plus que de nom. Les peuples africains ont vomi à l’unanimité la CEDEAO. Elle n’est pas l’organisation des peuples africains. Il s’agit d’un groupuscule de vassaux soi-disant chefs d’Etat qui exécutent des intérêts étrangers contre leur peuple. L’AES, très clairement, est en train d’occuper le vide massif laissé par la CEDEAO.

L’actualité, c’est la brouille diplomatique entre le Mali et l’Algérie. Quelle lecture en faites-vous ?  

Cette brouille diplomatique aurait pu avoir lieu depuis très longtemps. On ne peut pas comprendre qu’une puissance qui, d’un côté, dit qu’elle fait la médiation entre l’Etat malien et de l’autre côté, des groupes armés bien souvent terroristes. On ne peut pas comprendre que cette puissance accorde l’hébergement, le couvert, la bienveillance et même l’honneur des audiences à des individus appartenant à des organisations criminelles comme Al-Qaïda et l’Etat islamique. L’Algérie a été prise la main dans le sac de la duplicité. Il était important que le Mali appelle un chat, un chat. Si aujourd’hui, l’Algérie se permet d’être ambigüe envers les Maliens qui sont agressés depuis plus de 10 ans par des groupes terroristes associés à l’OTAN dans un projet de recolonisation de l’Afrique, il était important que l’Afrique dise à l’Algérie stop. Il est temps d’arrêter le double jeu. Ce qui est reproché à la France, aux États-Unis et à plusieurs pays du Moyen-Orient, c’est exactement ce qui est reproché à l’Algérie. Je salue donc le courage et l’énergie avec lesquels, le gouvernement malien a rétabli la vérité.

L’AES, a, aujourd’hui une potentielle supérieure à l’Algérie. Au lieu de chercher à coopérer positivement avec l’Alliance des Etats du Sahel, ce pays, manifestement voit d’un mauvais œil la naissance d’une grande puissance d’Afrique noire à sa frontière sud.

Qu’est-ce qui est problématique dans la réception de  l’Imam Mahmoud Dicko, par l’Algérie ?

Ce qui m’a marqué dans la réception de l’imam Dicko, c’est la coïncidence entre le moment où le gouvernement malien dénonce la duplicité de l’Algérie et le moment que Dicko choisit pour faire bonne figure avec les autorités algériennes. Il y a très clairement là, une forme de lâcheté envers son propre peuple et son pays. L’Imam Dicko ne devrait pas se rendre à ce moment précis en Algérie au moment où les pires terroristes sont accueillis en Algérie. En se présentant devant les autorités algériennes, il a clairement indiqué que la patrie compte très peu pour lui. Ce qui compte davantage pour lui, ce sont les positions et les avantages.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous êtes un vendeur d’illusions ?

Ceux qui le pensent projettent de l’état de conscience qui est le leur. Ceux qui pensent que pour le peuple, aller vers la souveraineté militaire, économique et politique est une illusion, ce sont précisément ceux qui vivent de la dépendance de l’Afrique. Il y a des Africains qui voient d’un mauvais œil l’autonomisation de l’Afrique, car, leur profession, c’est de servir de vassaux et de valets de l’impérialisme, du colonialisme et du brigandage international des puissances étrangères contre leur peuple. Je comprends que leur désillusion se transforme en haine mais ils seront vaincus. 

Que pensez-vous de la réorientation “stratégique’’ des Etats du Sahel vers la Russie ?

Cette réorientation stratégique obéit aux lois de la raison historique. Quand vous avez une puissance qui ne nous a pas vendu en esclavage, une puissance qui ne nous a pas colonisé, néo colonisé, une puissance qui ne nous impose pas sa langue et sa monnaie. Une puissance qui a aidé plusieurs mouvements de libération du continent pendant le 20ème siècle contre le colonialisme. Vous ne pouvez pas la mettre sur le même pied d’égalité avec une puissance négrière colonialiste. Les Russes veillent à ne pas ressembler aux puissances impérialistes. Ils cherchent une coopération fructueuse. La Russie a compris que si les faramineuses richesses naturelles de l’Afrique continuent d’être exploitées par l’occident, l’occident va utiliser ces richesses pour écraser la Russie. Donc, c’est pour se protéger contre la toute-puissance occidentale basée sur le pillage de l’Afrique. Les Russes peuvent vivre sans les Africains. Par contre, les occidentaux ne peuvent pas vivre sans les Africains.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que vous êtes à la solde de la Russie ? 

Celui qui affirme cela devrait avoir les preuves. Il suffit de voyager en Russie pour être un mercenaire ? Ceux qui estiment que, quand des Africains s’opposent aux colonialismes français, à l’impérialisme occidental, ils sont financés par la Russie, insultent l’intelligence des Africains. C’est une injure à l’intelligence des pères fondateurs du mouvement panafricaniste que de dire que, les Africains ne sont pas capables de penser par eux-mêmes, ils ne peuvent pas se révolter par eux-mêmes. Ils ont besoin d’une greffe d’un cerveau russe pour penser.

Pensez-vous que les Etats du Sahel doivent cesser tout partenariat avec la France ?

Non ! il ne s’agit pas de cesser tout partenariat avec quelque puissance que se soit mais exigé un partenariat respectueux de ce que le président Assimi Goïta a appelé la trilogie: Respect de la souveraineté des pays de l’AES, respect de leur liberté de choix stratégique et partenaire stratégique, et enfin, respect de leurs intérêts vitaux. Toute puissance qui respecte ces trois principes peut être un partenaire de l’AES.

Malgré vos écrits, on ne vous entend que très peu sur la situation politique de votre propre pays, le Cameroun, où le président Paul Biya règne depuis 40 ans.

Tous ceux le disent n’ont jamais, en réalité, lu mon œuvre et ils ne me connaissent pas. Donc on pourrait à la limite leur donner un alibi de l’ignorance. Mais l’ignorance ne paie pas. Combien d’entre ceux qui le disent ont lu “Critique de la tragédie camerounaise’’. J’ai animé des milliers de conférences que j’ai réservées au Cameroun. A 21 ans, j’ai combattu la dictature au Cameroun au sein des mouvements estudiantins. Je me suis retrouvé en exil précisément en raison de mon opposition contre la dictature dans mon pays natal où je ne suis pas retourné depuis 2018 parce que je suis interdit d’y rentrer par le régime de Paul Biya.

Combien d’entre ceux qui le disent ont participé dans la lutte politique au degré qui est le mien. Je n’en connais pas. Mes états de services sont de nature à prouver que je me suis mis au service de l’Afrique parce que je sais qu’aucun pays africain ne peut se libérer tout seul. Je suis un opposant au régime de monsieur Paul Biya, c’est connu. Cherchez mes livres et lisez-les.

Propos recueillis par Adama Tembely/Malikonews.com

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