Entretien avec Bouba Traoré, consultant en santé mentale : «les questions de santé mentale sont souvent mal perçues et associés à des croyances culturelles»

Bouba Traoré, consultant en santé mentale. © B. Traoré

Au Mali, les problèmes de santé mentale sont assez souvent négligés. Dans cet entretien exclusif avec Bouba Traoré, psychologue et consultant en santé mentale et soutien psychosocial (Smsps), associé au cabinet de psychologie « La Compassion », nous évoquerons certains aspects de cette réalité. 

 Fort de ses 8 années d’expérience dans le domaine de la santé mentale et du soutien psychosocial, M. Traoré a passé ces 4 dernières années comme consultant pour une agence du système des Nations unies au Mali. Il travaille comme psychologue pour contribuer à l’amélioration de la santé mentale et du bien-être psychosocial des personnes affectées par la détresse dans des communautés exposées à l’adversité, notamment dans les régions du centre et du nord du Mali.

 C’est quoi la santé mentale ?

Pour comprendre ce qu’est la santé mentale, nous nous basons sur la définition donnée par l’OMS : « la santé mentale correspond à un état de bien-être mental qui nous permet d’affronter les sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté ». La santé mentale fait partie intégrante de la santé et du bien-être, sur lesquels reposent nos capacités individuelles et collectives à prendre des décisions, à nouer des relations et à bâtir le monde dans lequel nous vivons.

On comprend alors que la santé mentale ne se définit pas seulement par l’absence de trouble mental. Il s’agit d’une réalité complexe qui varie d’une personne à une autre, avec divers degrés de difficulté et de souffrance et des manifestations sociales et cliniques qui peuvent être très différentes.

Quels sont les problèmes de santé mentale les plus courants au Mali ?

Tout d’abord, il faut comprendre qu’un problème de santé mentale est considéré comme une altération de la cognition, de la régulation des émotions et/ou du comportement d’une personne qui a un impact significatif sur sa vie quotidienne et/ou génère de la souffrance pour les personnes elles-mêmes et/ou leurs proches. Ainsi, l’expression « problème de santé mentale » est utilisée de la même manière que l’expression « problème de santé physique ».

Les problèmes de santé mentale comprennent les troubles mentaux et les handicaps psychosociaux ainsi que d’autres états mentaux associés à une souffrance importante, une altération du fonctionnement ou un risque de comportement auto-agressif.

Sans une étude sur le sujet, on peut difficilement affirmer avec exactitude les problèmes de santé mentale les plus courants au Mali. Toutefois, l’exposition à des circonstances sociales, économiques, géopolitiques et environnementales défavorables – y compris la pauvreté, la violence, les inégalités et la privation de bonnes conditions environnementales – augmente aussi le risque de développer des problèmes de santé mentale. Or depuis plus d’une décennie, une bonne partie de notre pays se trouve dans une crise sécuritaire prolongée où les communautés sont exposées à l’adversité. Cette condition génère comme problèmes de santé mentale courants : la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique.

Plus complexe encore, même si cette dernière condition et celles citées plus haut augmentent le risque pour les individus, les familles et les communautés, la plupart des gens ne développent pas de problèmes de santé mentale après avoir été exposés à un facteur de risque, alors que de nombreux individus en développent en l’absence de facteur de risque connu.

Quelles sont les difficultés de prise en charge de ces cas ? Les pesanteurs sociales et autres tabous, par exemple

L’insuffisance d’infrastructures adéquates et de professionnels formés pour les soins de santé mentale et du soutien psychosocial est déjà un grand défi. Il est alors nécessaire d’investir dans le développement des infrastructures et la formation de professionnels permettant d’améliorer l’accès aux soins de santé mentale.

La négligence et le déni des problèmes de santé mentale sont très fréquents et constituent un défi dans la prise en charge.

Aussi, la stigmatisation entourant les problèmes de santé mentale et du soutien psychosocial est-elle répandue au Mali. Les questions de santé mentale sont souvent mal perçues et associés à des croyances culturelles ; ce qui peut entraîner une exclusion sociale et une discrimination envers les personnes confrontées aux problèmes de santé mentale. Une sensibilisation accrue, une éducation sur les troubles mentaux s’avèrent nécessaires pour réduire cette stigmatisation et améliorer l’acceptation sociale.

 Existe-t-il des statistiques des personnes concernées par des problèmes de santé mentale ?

Il n’existe pas un chiffre officiel sur le nombre de personnes souffrant de problèmes de santé mentale au Mali. Nous avons cependant quelques données disponibles, notamment au niveau hospitalier : le service de psychiatrie du CHU Point G, avec 1105 cas entre janvier 2014 et décembre 2018 ; et 495 en 2023.

Néanmoins sur le plan mondial, les données fournies par l’OMS nous renseignent qu’une personne sur huit a des problèmes de santé mentale. Ainsi, 970 millions de personnes présentaient un trouble mental, en 2019, les troubles anxieux et les troubles dépressifs étant les plus courants.

Des conseils en tant que professionnel du domaine ?

Les problèmes de santé mentale peuvent survenir à tout moment et à toute personne. Il est important de comprendre que beaucoup d’autres personnes ont vécu des situations similaires et qu’il est possible de s’améliorer. Pour ce faire, recherchez du soutien autour de vous, notamment en parlant avec quelqu’un en qui vous avez confiance de ce que vous ressentez. Également, demander l’aide d’un professionnel de la santé mentale.

La stigmatisation est l’un des principaux générateurs de souffrance selon les témoignages de personnes ayant des problèmes de santé mentale. De nombreuses personnes ayant un problème de santé mentale disent que la stigmatisation est pire que le trouble lui-même. En effet, il en résulte parfois qu’ils soient privés de l’exercice de leurs droits fondamentaux. Il faut alors une plus grande prise de conscience de l’importance de respecter les droits de l’homme de tous.

Chacun doit faire preuve de tolérance et d’acceptation en ne tenant pas ces personnes responsables de leur problème de santé mentale, en ne les considérant pas comme des personnes dangereuses, incompétentes, imprévisibles, et/ou incapables d’effectuer des tâches de base ainsi que d’exercer la maîtrise de soi.

Propos recueillis par Mohamed Camara / Malikonews.com

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