Culture : malgré le contexte de crise, la création des artistes ne s’arrête pas

Une image des temps forts du studio koreduga à l'école Alphonse à Amsterdam. Crédit : Studio Yamarouphoto

Le Mali est un pays en crise. Ce marasme affecte le secteur de la culture, notamment. Cette difficulté n’a pourtant jamais découragé la créativité des acteurs culturels du pays, qui continuent de transporter l’art malien aux quatre coins du monde. Même si leurs déplacements restent restreints à l’intérieur du pays.  

Un point de connexion peut être tracé entre la culture malienne et celle de l’occident. La similitude entre les bouffons sacrés du Mali (Kôrêduga) et les clowns, n’est-t-elle pas une voie à creuser ? Néanmoins, leurs rôles et utilités dans ces sociétés peuvent ne pas être communs. Les Kôrêduga sont membres d’une société secrète, un groupe d’hommes et femmes initiés assurant le rôle d’un bouffon rituel lors de cérémonies dans les communautés Bambara, Malinké, Sénoufos et Samogo du Mali. Il s’agit d’un rite de sagesse. Cette société et son rite qui sont sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, est mise à l’honneur par les activistes de “Yamarouphoto” à travers un studio photo éphémère. La philosophie de ces bouffons maliens a laissé un trait de sourire sur les visages de ces réfugiés ukrainiens dans un camp de réfugiés situé à proximité d’Amsterdam, la capitale néerlandaise, lors de la tournée européenne de ce studio kôrêduga de la structure “Yamarouphoto”, en octobre. Ce studio démontable est constitué par les tissus multicolores à l’image de l’accoutrement des kôrêduga. A l’intérieur de ce studio photo se trouvent des boubous et les différents objets que portent les membres de cette société secrète, pour « ceux qui viendront se photographier. Ils portent ces objets sacrés des kôrêduga et nous mettons de la musique et tu danses en même temps on prend la photo. C’est pour capter la joie et disperser ces milliers de sourires que ces hommes sacrés de notre société peuvent donner aujourd’hui, à qui connait la situation du monde » estime Seydou Camara, Directeur artistique de Yamarouphoto.

Pour lui, plus de « 2000 personnes ont visité ce studio à Amsterdam, nous avons pu photographier plus d’une centaine de personnes. Nous avons été à l’école Alphonse à Amsterdam, dans une maison des gens de troisième âge et également dans un camp de réfugiés. Toutes les personnes qui ont visité le studio, nous ont fait des retours positifs. Cela nous réconforte dans notre démarche qui est de véhiculer la philosophie des kôrêduga partout dans le monde » affirme-t-il.

La photographie au Mali  

La capitale malienne, Bamako, est la plaque tournante de la photographie africaine. Chaque deux ans, les plus grands photographes du monde se réunissent dans la grande métropole malienne pour parler photographie à travers la biennale africaine de cet art visuel. C’est l’une des éditions de ce festival photographique que Seydou Camara dit avoir trouver son bout de chemin, « cette année-là, j’avais exposé en off à travers des portraits des personnes atteints par l’albinisme que j’avais effectué. J’ai été sollicité par beaucoup de personnes à travers ces œuvres, et c’est de là que mes collaborations et tournées dans le cadre de la photo ont débuté » retrace-t-il. Mais, il déplore la difficile traversée de la photographie dans la société malienne actuelle où les photos ne sont sollicitées que pendant les cérémonies « des clichés artistiques ne leur parlent pas ni des portraits. Nous organisons des expositions, mais nous ne voyons pas de visiteurs ni de clients potentiels, l’affluence des gens dans nos expositions est très timide, ce que nous investissons est supérieur à ce que nous gagnons dans ces expos. C’est pourquoi, nous sommes obligés d’aller faire des expositions à l’extérieur du pays car eux, ils mettent en valeur nos travaux » explique celui qui a participé à Documenta 15 en Allemagne, en 2022.     

L’histoire de la photographie au Mali remonte à la période coloniale, mais ses précurseurs dans la société malienne, sont Seydou Keita et Malick Sidibé, des portraitistes de Bamako des années 1950-1970, leurs œuvres continuent de faire le tour du monde. De ces dates à nos jours, la photo a connu des évolutions notoires à travers le monde, au Mali notamment. Pourtant, la société malienne, un peu conservatrice, reconnaît difficilement le métier de photographe, et n’en voit pas un moyen lucratif d’être indépendant financièrement, être photographe professionnel n’est pas forcément valorisé. Pour faire renaître cet art, « Nous avons initié plusieurs initiatives pour vulgariser l’art de la photographie dans notre pays. En cette année seulement, 2023, nous avons formé plus de 120 jeunes à la photographie.  Nous avons offert des sessions de renforcement des capacités à l’endroit des jeunes photographes professionnels dans la région de Sikasso, aussi, nous avons enseigné l’art de la photographie aux enfants talibés à Bamako, et aux jeunes déplacés de guerre dans leurs camps. En juillet dernier, nous avons fait venir un expert hollandais en photo pour initier 12 photographes professionnels maliens dans la photographie artistique à travers un workshop » affirme Seydou Camara.

Le secteur culturel malien s’affirme dans une résilience notoire, les conséquences de la crise politico-sécuritaire que le pays traverse depuis 2012 a laissé une trace indélébile sur les manifestations culturelles. Aussi, les deux écoles des beaux-arts, nonobstant leurs efforts n’arrivent pas à combler ce vide. Le ministère en charge de la culture, avec des moyens très limités, reste optimiste et accompagne les artistes techniquement « nous n’avons pas des moyens conséquents pour répondre aux sollicitations de ces nombreux artistes du pays. Mais, nous faisons en sorte de convaincre les partenaires d’investir et d’accompagner les projets culturels de nos artistes » évoque le ministre Guindo lors d’une activité culturelle. En juillet dernier, la biennale artistique et culturelle du Mali a fait son retour à travers une édition spéciale tenue à Mopti dans la 5ème région du pays, où sévit, par intermittence, des affrontements meurtriers entre les terroristes et l’armée régulière.

« Raconter l’invisible » Yebali lakali

Amadou Sanogo, un peintre malien, a raconté en octobre à Paris, ce que l’on ne voit pas à travers une exposition d’art contemporain à la galerie Magnin-A, dans le XIème arrondissement.  Les œuvres du peintre malien lors de cette exposition parisienne intitulée « Yebali Lakali » ce qui est littéralement en français raconter l’invisible, étaient insufflées de proverbes bambaras, ingrédients d’une sagesse malienne, des paroles en allégorie pour conseiller jeunes et vieux lors des veillés. Les personnages peints sur les tableaux de Sanogo représentent les questionnements, bien mis dans des monochromes, ce qui incarne l’infinité de ce qui entoure l’artiste, « le bleu pour la peur, le rouge pour la vitalité, le vert pour la nature… » dit-il. Cet artiste contemporain du Mali « veut faire mieux comprendre le monde qui nous entoure, grâce notamment à cette idée poétique de raconter l’invisible. N’est-ce pas le rôle d’un artiste que de la transmettre, de raconter ce que l’on ne sait percevoir ? »

Selon Simon Njami, écrivain, essayiste, commissaire d’exposition et critique d’art camerounais, qui connaît l’artiste depuis qu’il était étudiant, a évoqué, au sujet de Sanogo, dans une contribution au journal français,  Le Monde « l’art pour Amadou Sanogo était une chose simple. Un moyen d’expression qui permettait de dire au monde qui on était et pourquoi l’on faisait ce que l’on faisait. Le travail, loin de tout discours convenu, comme seul élément tangible de reconnaissance. Il ne s’est jamais dit malien parce qu’il savait l’être. Il ne s’est jamais proclamé contemporain, il l’a toujours été. Et entre tous les leurres agités par des définitions ronflantes et creuses, il s’est toujours dit peintre sans autre fioriture ».

En outre à Bamako, les œuvres des jeunes peintres et plasticiens demeurent dynamiques mais confidentielles,  avec des expositions cantonnées aux petites salles et des lieux souvent restreints pour un public « extrêmement timide. Nous organisons ces vernissages souvent difficilement mais, nous sommes appuyés par des partenaires non maliens. Les acheteurs sont peu mais cela ne nous dérange pas dans la création continue… » évoque une jeune plasticienne malienne.

Mohamed Camara / Malikonews.com

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