La terrasse du géant monument de la paix dressé entre le mémorial Modibo Keita et la cité administrative de Bamako, est animée par les visuels en couleur orange des activistes luttant contre les violences basées sur le genre- VBG au Mali. Ces visuels attirent l’attention de tout passant sur cette artère très fréquentée, la campagne « Orangez le monde » ou encore « 16 jours d’activisme contre les VBG » impose ce nouveau panorama dans la ville. Les 16 jours d’activisme contre les VBG sont célébrés annuellement partout dans le monde par les acteurs combattant contre les VBG, le thème retenu cette année est : « Investir pour prévenir la violence à l’égard des femmes et des filles ».
Par contre, selon une Étude démographique de Santé, au Mali : « 2 % des femmes ont eu un comportement violent à l’égard de leur mari (sans agression du conjoint à leur encontre) et 5 % ont riposté à l’agression de leur conjoint. Par ailleurs, 45 % des femmes maliennes (entre 15-49 ans) ont été victimes des violences physiques et sexuelles », rapporte Avocats sans frontière Canada dans un rapport en 2022.
Pourtant, Balla Mariko, sociologue et militant contre les VBG, préfère ne pas avancer de chiffres sur « les survivants » de cette pratique au Mali, en précisant que ce n’est pas son rôle d’établir cela. Dans cette interview exclusive, celui qui se définit comme un « activiste de la cause humaine », nous livre son point de vue sur les VBG au Mali, notamment, des actions menées par les organismes des droits de l’homme et des associations engagées contre ce fléau, aussi des divergences d’opinions autour du mot « genre »
Malikonews.com : Comment définissez-vous les violences basées sur le genre ?
Balla Mariko : les violences basées sur le genre sont des pratiques qu’un sexe fait subir à l’autre contre son gré. Tout ce que l’on impose à son partenaire (homme/femme).
Quel genre est le plus exposé aux VBG au Mali ?
La notion du genre divise. Le genre chez nous, les acteurs de la lutte contre les Vbg, c’est l’homme et la femme. Donc, il y a eu beaucoup de campagnes de sensibilisation pour demander aux femmes de libérer la parole, en revanche, ce genre de campagne n’a pas encore eu lieu pour demander aux hommes de libérer la parole. Il y a une partie du genre qui s’exprime dont les torts sont suivis de tous, mais l’autre demeure encore muet et pourrait constituer des victimes silencieuses. Mais, réellement nous voyons aujourd’hui au Mali plus de victimes femmes que d’hommes. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe que des victimes féminines, il ya aussi des hommes victimes de cette pratique.
Pourriez-vous nous faire un contraste des chiffres des victimes de deux genres ?
Je n’aime pas trop m’avancer sur les chiffres. Vous savez quand même qu’on parle d’une cause humaine, qui ne peut pas être résumée par des chiffres. C’est les rapports qui rapportent les chiffres. Mais globalement, on a plus de femmes victimes qui viennent nous voir que d’hommes.
Quels sont les objectifs des 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre ?
Normalement ça s’appelle “Orangez le monde ». Tout doit être de couleur orange durant les 16 jours. J’estime pour ma part que c’est symbolique, sinon la campagne de sensibilisation c’est les 360 jours de l’année. Mais il faut toujours un symbole qui est cette campagne de 16 jours célébrée partout dans le monde par les acteurs luttant contre les Vbg afin d’élever communément la voix pour attirer l’attention sur le fléau, autour d’une thématique proposée par les Nations-Unies. Mais le but de ces 16 jours, c’est pour attirer l’attention des uns et autres, sur ce que peuvent subir les hommes et femmes au sein de la société. C’est important d’intensifier les campagnes, c’est aussi important de faciliter l’accès des victimes ou survivantes aux structures et services pour les prises en charges médicaux, sanitaires et juridico-judiciaires.
Quelles sont les actions que vous menez dans cette lutte en parallèle des 16 jours d’activisme ?
Elles sont très nombreuses. Nous organisons chaque fois des conférences d’informations et de sensibilisations sur la pratique, également des sessions de formation sur le droit de la femme, le droit de l’homme. Nous organisons régulièrement des causeries-débats dans les universités pour attirer l’attention des jeunes hommes et femmes, qui n’ont pas encore franchi le cap de la vie de couple officiel. Aussi d’attirer leur attention sur le respect mutuel dans la vie de couple.
Quel est l’apport de l’Etat pour cette lutte ?
L’Etat s’implique, mais l’implication de l’Etat est toujours peu. L’Etat n’apporte que la caution institutionnelle, il finance et accompagne peu d’associations pour les campagnes de sensibilisation, les orientations et les prises en charges des victimes. Je n’en connais pas beaucoup d’associations financées et accompagnées par les autorités. Mais je sais que ce sont plus les ONG au Mali qui financent les acteurs locaux pour mener à bien les campagnes de sensibilisation.
Existe-t-il une loi contre les VBG au Mali ?
Il existe un avant-projet de loi qui n’a pas encore bougé. Il est bloqué entre le ministère de la promotion de la femme et celui de la justice, on ne sait pas toujours de quel niveau il se trouve. Mais c’est bloqué quelque part.
Quelle est la cause de ce blocage ?
Je pense qu’il y a un souci avec le mot genre. Plusieurs acteurs de la société civile et religieuse ont un problème avec la loi. Au lieu qu’on en discute bien les choses, on cherche à uniformiser les points de vue. Il y’en a parmi eux qui ont voulu une confrontation directe et d’autres ont carrément balayé toute opposition.
Que soupçonnent les opposants dans cet avant-projet de loi ?
Ils parlent de l’homosexualité. Alors que je ne me vois pas engagé dans des combats qui ne sont pas en conformité avec mes convictions. Mais ce n’est pas pour moi une raison de les combattre. Je respecte tout le monde.
Quel est le message que vous lancez aux maliens ?
Mon message, pour terminer, est de demander à tout le monde d’être respectueux de l’autre, aux hommes de ne pas considérer les femmes comme des adversaires, aux femmes de ne pas voir leurs époux comme des ennemies. C’est la vie de couple, elle est faite de hauts et de bas, quand c’est “doux” il faut bien en profiter. Quand c’est le contraire, maintenez la discussion pour se comprendre, n’allons pas dans l’excès pour éviter le pire. Vous savez l’une des beautés de notre société réside dans l’union de mariage, quand un homme et une femme se marie, c’est les deux familles respectives qui se marient également.
Propos recueillis par Mohamed Camara / Malikonews.com