Jacques Delors, figure de la construction européenne, est mort à l’âge de 98 ans

Jacques Delors lors d'une interview en décembre 2012. Photo Sipa/CHAMUSSY

Apôtre inébranlable de la construction européenne, père de l’euro, espoir éphémère de la gauche française à la présidentielle de 1995, Jacques Delors est mort mercredi à l’âge de 98 ans.

L’ancien président de la Commission européenne « est décédé ce matin (mercredi) à son domicile parisien dans son sommeil », a annoncé à l’AFP sa fille Martine Aubry, maire socialiste de Lille.

Le président Emmanuel Macron a rendu hommage à l' »inépuisable artisan de notre Europe ».

Le chancelier allemand Olaf Scholz l’a qualifié de « visionnaire », « devenu un architecte de l’UE ».

« Grand Français et grand Européen, il est entré dans l’histoire comme l’un des bâtisseurs de notre Europe », a commenté le président du Conseil européen, Charles Michel.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a évoqué pour sa part « un visionnaire qui a rendu notre Europe plus forte ».

En dehors de l’UE, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a lui aussi salué un « visionnaire » ayant oeuvré à « une Europe unie et libre ».

Ancien ministre de l’Economie sous François Mitterrand (1981-1984), Jacques Delors avait douché les espoirs de la gauche en refusant de se présenter à l’élection présidentielle de 1995 alors qu’il était le grand favori des sondages.

Depuis Bruxelles où il restera à la tête de la Commission de 1985 à 1995, il a joué les architectes pour façonner les contours de l’Europe contemporaine: mise en place du marché unique, signature des accords de Schengen, Acte unique européen, lancement du programme Erasmus d’échanges étudiants, réforme de la politique agricole commune, mise en chantier de l’Union économique et monétaire qui aboutira à la création de l’euro…

En mars 2020, il avait encore appelé les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE à plus de solidarité au moment où ces derniers s’écharpaient sur la réponse commune à apporter à la pandémie de Covid-19.

Fin 1994, son renoncement spectaculaire à une candidature à l’élection présidentielle, annoncé après six mois de suspens en direct à la télévision devant 13 millions de téléspectateurs avait stupéfait les Français.

« Je vais atteindre 70 ans, je travaille sans relâche depuis 50 ans et il est plus raisonnable, dans ces conditions, d’envisager un mode de vie plus équilibré entre la réflexion et l’action », avait-il déclaré, ses yeux bleus tombants face à la caméra.

– « Je ne dis pas que j’ai eu raison » –

« Je n’ai pas de regrets », mais « je ne dis pas que j’ai eu raison », avait-il commenté dans le magazine Le Point en 2021. « J’avais un souci d’indépendance trop grand, et je me sentais différent de ceux qui m’entouraient. Ma façon de faire de la politique n’était pas la même ».

Sa carrière politique avait ensuite marqué le pas et c’est presque en simple militant que Jacques Delors avait poursuivi ses combats à partir du milieu des années 90.

Avec ses centres de réflexion, « Club témoin » ou « Notre Europe » (devenu ensuite « Institut Jacques-Delors »), il a plaidé jusqu’au bout pour un renforcement du fédéralisme européen, réclamant davantage d' »audace » à l’heure du Brexit et des attaques de « populistes de tout acabit ».

Né à Paris le 20 juillet 1925 dans un milieu simple et catholique, Jacques Delors était passé du patronage de paroisse à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), à laquelle il reste lié toute sa vie.

Il entre à la Banque de France, puis adhère à la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et participe à la déconfessionnalisation du syndicat, qui donne naissance à la CFDT.

Il avait attendu 1974 et l’âge de 49 ans pour s’encarter au parti socialiste, dans l’espoir d' »être utile ». « Je suis un social-démocrate », résumait-il dans Le Point.

A la tête des Finances publiques sous le président socialiste François Mitterrand, il fut l’un des initiateurs du tournant de la rigueur à partir de 1982, évitant à la France de plonger dans l’inflation.

Il s’est marié en 1948 avec une collègue partageant ses convictions syndicales et religieuses, Marie Lephaille, décédée en 2020. Ils auront deux enfants: Martine Aubry, qui naît en 1950, puis Jean-Paul, né en 1953 et emporté par une leucémie en 1982.

Il est mort le même jour qu’une figure marquante de la vie politique allemande de l’après-guerre, Wolfgang Schäuble (décédé à 81 ans), qui a incarné à lui seul pendant des années le rigorisme budgétaire promu par son pays en Europe.

Avec AFP

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